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gouvernement provisoire. La révolte éclatait de toutes parts. L’île de Syra, si précieuse par le revenu de ses douanes, passa aux insurgés. C’était une brèche terrible dans les finances du dictateur, qui se vit bientôt obligé d’émettre pour trois millions de papier-monnaie. Où était la Grèce des hétairies, celle qu’une même passion exaltait contre les oppresseurs ? Les plus illustres combattans des jours de gloire se partageaient entre le président et l’insurrection. Si le comte Capodistrias avait auprès de lui Kolokotroni, Nikitas, Canaris, plus ou moins cliens de la Russie, à la tête des insurgés marchaient le sage Mavrocordato, l’intrépide amiral Miaulis, et plusieurs chefs de cette famille des Mavromichalis qui nous reporte au temps de Marathon. L’aïeule vivait encore à cette date ; âgée de quatre-vingt-six ans, elle avait vu plus de quarante héros, parmi ses enfans et petits-enfans, mutilés au service de la patrie.

Voilà les hommes que le comte Capodistrias, par ses perfidies, poussait à la révolte et au crime. Le crime de l’amiral Miaulis et le crime des Mavromichalis, qui ne se ressemblent d’ailleurs en aucune manière, se rattachent à la même cause ; c’est le président qui, poussant à bout une tribu de héros comme il avait poussé à bout le vieux loup de mer, leur mit le fer et le feu à la main.

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 1831, l’amiral Miaulis, chargé par les Hydriotes d’aller saisir dans Poros la flotte grecque, afin de prévenir les projets du président contre Hydra, exécuta ce hardi coup de main avec une rapidité merveilleuse. Il n’avait qu’une poignée d’hommes, à peine deux cents marins d’Hydra, mais les habitans de Poros leur vinrent en aide ; en quelques heures, toute la flotte grecque réunie dans la rade de Poros tomba au pouvoir de Miaulis. Elle se composait de la frégate Hellas, de deux corvettes, de deux bateaux à vapeur et de deux autres bâtimens de moindre importance. On devine la consternation de Capodistrias. Les commandans des escadres anglaise et française se trouvant alors éloignés de Nauplie, où siégeait le gouvernement, il ne restait que le commandant russe, l’amiral Ricord, pour représenter les trois puissances. Avait-il le droit de prendre à lui seul une décision ? Non, certes. Toutefois sur les instances du président, il court à Poros avec une frégate et un brick. Immédiatement sommation est faite à Miaulis de se retirer ; Miaulis répond qu’il est à Poros par l’ordre des Hydriotes, obligés de se mettre à l’abri des violences du président ; il ajoute que la flotte ne court aucun danger sous son commandement, il la gardera comme un dépôt sacré que lui a confié la nation. Sa mission n’a pas de caractère belliqueux, c’est une mission préventive et tutélaire. L’amiral russe insiste et menace d’employer la force. Alors Miaulis d’une voix plus haute et