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a lieu d’examiner de très près et dans tous ses motifs une opinion si universellement accréditée. Aussi n’échapperai-je pas, je vous en avertis, aux controverses techniques que la discussion nécessitera. Je vous demande grâce d’avance pour les formes tant soit peu pédantes que je sens déjà venir sous ma plume. Je tâcherai d’être clair; je ne réponds point d’être aussi bref qu’il le faudrait et de ne pas scandaliser d’abord certains esprits fanatisés.

La composition ne constitue pas, on en convient, le principal mérite du tableau. Le sujet n’avait pas été choisi par le peintre, et la façon dont le peintre entendait le traiter ne permettait pas que le premier jet en fût ni très spontané, ni très lucide. Aussi la scène est-elle indécise, l’action presque nulle, l’intérêt par conséquent fort divisé. Un vice inhérent à l’idée première, une sorte d’irrésolution dans la façon de la concevoir, de la distribuer et de la poser, se trahit dès le début. Des gens qui marchent, d’autres qui s’arrêtent, l’un amorçant un mousquet, l’autre chargeant le sien, un autre faisant feu, un tambour qui pose pour la tête en battant sa caisse, un porte-étendard un peu théâtral, enfin une foule de figures fixées dans l’immobilité propre à des portraits, voilà, si je ne me trompe, quant au mouvement, les seuls traits pittoresques du tableau. Est-ce bien assez pour lui donner le sens physionomique, anecdotique et local qu’on attendait de Rembrandt peignant des lieux, des choses et des hommes de son temps? Si Van der Helst, au lieu d’asseoir ses arquebusiers, les avait fait se mouvoir dans une action quelconque, ne doutez pas qu’il ne nous eût donné sur leurs manières d’être les indications les plus justes, sinon les plus fines. Et quant à Frans Hals, vous imaginez avec quelle clarté, quel ordre et quel naturel il aurait disposé la scène; s’il eût été piquant, vivant, ingénieux, abondant et magnifique. La donnée conçue par Rembrandt est donc des plus ordinaires, et j’oserai dire que la plupart de ses contemporains l’auraient jugée pauvre en ressources, les uns parce que la ligne abstraite en est incertaine, étriquée, symétrique, maigre et singulièrement décousue, les autres, les coloristes, parce que cette composition pleine de trous, d’espaces mal occupés, ne se prêtait pas à ce large et généreux emploi des couleurs, qui est l’exercice ordinaire des palettes savantes. Rembrandt était seul à savoir comment avec des visées particulières on pouvait se tirer de ce mauvais pas; et la composition, bonne ou mauvaise, devait convenablement suffire à son dessein, car son dessein était de ne ressembler en rien ni à Frans Hals, ni à Grebber, ni à Ravestein, ni à Van der Helst, ni à personne.

Ainsi nulle vérité, et peu d’inventions pittoresques dans la disposition générale. Les figures en ont-elles individuellement davantage ?