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fortune d’arriver jeune au monde au moment précis où la langue était achevée et toute classique. Seul le bel esprit y marque le voisinage presque immédiat de l’hôtel de Rambouillet et le patronage affable des Montausier et des Chapelain; encore ce bel esprit y est-il ménagé avec une sobriété et un bon goût qui révèlent que le temps a marché, qu’on s’éloigne déjà de la source de la préciosité, et que, tout proche qu’il est, l’hôtel de Rambouillet est déjà dans le passé. Cette préciosité d’ailleurs se fait plus sentir que reconnaître, car c’est moins dans les formes du langage et les tournures du style que dans l’allure du récit qu’elle se rencontre : récit vif, rapide, tout d’une haleine, sans aucun point d’arrêt ni ralentissement, mais frappé cependant d’une légère affectation comparable à celle d’un coureur agile qui, pour faire admirer sa vitesse, trouve moyen d’exagérer sa légèreté par quelque geste voulu, quelque inflexion du corps préméditée, quelque manière adroite de rebondir de terre ou de porter le pied en avant, capable de le faire remarquer.

Il est aussi un autre genre de censure auquel le livre de Fléchier n’échapperait à coup sûr pas de nos jours. On ne manquerait pas de l’accuser de mondanité, de scepticisme, presque d’incrédulité; on ferait remarquer avec une apparence de raison le désaccord qui existe entre le ton de ce livre et le caractère de l’auteur, on demanderait si c’est bien une digne préparation à un futur épiscopat que d’écrire des récits dont la galanterie est la préoccupation constante quand elle n’en est pas la matière principale. Heureusement pour nos plaisirs et notre instruction, on n’avait pas encore inventé au XVIIe siècle ce pédantisme de nos sociétés démocratiques qui demande à l’homme de commencer par se mutiler pour être mieux en harmonie avec ses fonctions, qui ne veut se représenter un magistrat qu’avec une tenue roide et gourmée, et un prêtre qu’avec un visage triste et morose, qui en un mot demande à l’homme de prendre d’abord figure de sot pour mieux porter le masque de sa profession. Au XVIIe siècle, on pensait au contraire avec Pascal qu’Aristote et Platon, que nous nous figurons toujours en robes noires de docteurs et en bonnets carrés, étaient d’honnêtes gens aimant à rire et à converser avec leurs amis. Un tel livre suffirait aujourd’hui pour faire soupçonner la vertu de l’auteur; or, s’il est une vertu qui n’ait pas été soupçonnée et dont les contemporains aient rendu bon témoignage, c’est bien celle de Fléchier, seulement il s’est rencontré que ce vertueux avait de l’esprit, ce qui à coup sûr est le meilleur auxiliaire pour bien prêcher la vertu, de la politesse, ce qui certainement ne peut que la rendre plus aimable, enfin, comme Fénelon, du goût et du sentiment pour la beauté, ce qui à la rigueur ne saurait être interdit à celui qui