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sont à la charge de l’état. Souvent ont lieu des passages comme celui auquel nous avons assisté le matin même, ou bien quelque riverain dont la vache a franchi le fleuve à moitié desséché, revient, éperdu, raconter les exactions dont il a été la victime. Il doit y avoir dans tous ces récits une grande part de l’exagération propre à ces populations slaves; mais les légendes qui circulent attestent tout au moins que l’imagination de tous les habitans est vivement frappée. Slaves comme les fugitifs, de la même religion qu’eux, de tout temps pleins de sympathie pour la cause de l’indépendance des provinces limitrophes, on sent chez eux deux courans bien définis : un ardent désir de lutte de la part de la population virile, une frayeur sans bornes de la part de la population féminine. Il semble que dans cette circonstance on se serre contre le soldat qui représente un pouvoir fort et tutélaire. Il est juste de dire que les officiers sont très émus aussi et très ardens; nous ne savons pas si le fait est général, mais plus avant dans notre voyage, depuis Brod jusqu’à Korlat, ceux que nous avons rencontrés étaient pour la plupart Bohèmes ou Croates, et quelques-uns appartenaient à la religion orthodoxe, ce qui explique aisément leur disposition d’esprit en face de la lutte engagée.

Les autorités des frontières désarment cependant avec rigueur les groupes armés venus de l’intérieur qui essaient de franchir la Unna pour se joindre aux insurgés. Ces désarmemens assez fréquens s’opèrent dans des conditions curieuses, car tout le pays montre ouvertement sa sympathie pour les insurgés. J’ai vu à quelques lieues de Dvor une patrouille de uhlans arrêter au passage des paysans armés qui se cachaient dans les saules et attendaient une occasion propice pour passer. Comme le fleuve en cet endroit se partage en plusieurs bras, le plus grand nombre avait pu se réfugier dans les îles; sept ou huit d’entre eux, capturés par les cavaliers, furent conduits à la préture, et tout le village les suivait avec des vivats ; les femmes arrachaient les fleurs de soucis dont elles parent leurs cheveux et les leur jetaient; les uhlans eux-mêmes riaient sous cape, et quand on les amena devant le chef du district, celui-ci s’empara des armes et les remit en liberté, suivant sa consigne, en leur souhaitant tout bas d’être moins maladroits à la première occasion.

Pendant mon séjour à Podové, les officiers de la petite garnison se mettent à ma disposition pour me montrer tout ce qui peut intéresser dans le pays, mais il faut d’abord s’assurer des moyens de départ. L’employé de la station de Novi est à lui seul toute l’administration du chemin de fer; il est Autrichien et entretient d’excellentes relations avec les officiers. On l’attend le jour même à Podové ;