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tracées. Pourquoi aller admirer les fleurs et vous enivrer de leur beauté? A peine rentrés, vous sentez toute l’inanité de vos plaisirs ! Pourquoi toujours désirer? Vous voulez voir ceci, vous voulez voir cela; vous voulez manger des mets recherchés, porter de beaux vêtemens; vous passez le temps de la vie à souffler vous-mêmes sur les flammes qui vous consument. Il est écrit : « J’ai été amoureux des fleurs, elles se sont épanouies et desséchées, ô tristesse ! » A votre tour, songez à cette terrible pensée : combien le volubilis est brillant de fraîcheur I et cependant dans l’espace d’un matin il ferme sa corolle et se flétrit. Les livres sacrés nous apprennent qu’un certain roi vint un jour dans ses jardins pour s’y amuser et réjouir ses yeux de la beauté des plantes. Au bout d’un moment, le sommeil le prit; pendant qu’il dormait, les femmes de sa cour vinrent mettre le parterre au pillage; quand il s’éveilla, il ne restait plus de ces fleurs, qui faisaient sa joie, que des tiges et des pétales brisés. À cette vue, le roi s’écria : « Les fleurs passent et meurent; il en est ainsi des êtres humains. Faits pour naître, vieillir, souffrir et périr, nous sommes aussi passagers que l’éclat de la flamme, nous nous évanouissons comme la rosée du matin ! » Songez donc combien la mort est proche ! N’est-ce pas pitié que, durant cette vie courte, les hommes se consument au feu des vains désirs, et commuent y échapper autrement que par les divins enseignemens de Bouddha? »

Telle est la conclusion désespérante de tous les moralistes : ce n’est pas aux choses de ce monde qu’il faut nous attacher, elles nous trompent, elles n’ont pas plus de réalité qu’un songe et sont fugitives comme lui. « L’odeur et la couleur s’évanouissent : sur la terre, qu’est-il de durable? Je n’ai fait que passer, et déjà elles n’étaient plus. » Ainsi parlent les quatre vers qui contiennent le premier alphabet de l’enfance. Détachons-nous donc de ces fantômes passagers. Tout effort est maudit, s’il n’est point fait sur nous-mêmes, pour nous connaître et nous absorber dans la contemplation de Bouddha, pour laquelle ce n’est pas trop d’une vie si courte. Qu’importe le monde extérieur? Respectons l’autorité, rendons à César ce qui est à César; bénissons le monarque qui veille sur ses enfans et à qui seul incombe le soin de pourvoir à leur existence, tandis qu’eux se livrent à la prière. « Vous dites : ma maison, ma femme, ma fille ; mais rien de tout cela ne vous appartient que grâce à la vigilance du gouvernement! » Ainsi, glorifiant la pureté du cœur, mais condamnant la vertu active et passant sous silence la charité, qu’elle ignore, la morale bouddhiste, en s’efforçant de peupler le monde d’ascètes, s’expose à le couvrir de paresseux. L’homme ne se détache pas impunément des objets naturels de son ambition et fuit volontiers la peine qui n’emporte pas sa récompense. Sans doute l’instinct, plus fort que les doctrines,