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lui disait en vers élégiaques : « Camille, nous plaindre ensemble est désormais la consolation de nos esprits abattus ! » Lui, il n’a jamais perdu beaucoup de temps à gémir. S’il ne se faisait point d’illusion sur le gouvernement, il ne prenait pas du tout un air de victime ou d’adversaire systématique. S’il n’aimait pas ceux qu’il appelait dans son français de fantaisie les « reculeurs, » les ultra, ceux qui, par haine ou par crainte des révolutions, auraient rétrogradé d’un siècle ou de plusieurs siècles, il n’aimait pas non plus les « frénétiques, » les sectaires, qui, pour une chimère, pousseraient « la société dans un chaos affreux d’où elle ne pourrait se relever que par le moyen d’un pouvoir absolu et brutal. » Il n’était ni des uns ni des autres, il avait une aversion naturelle pour les excès qui le plus souvent ne sont qu’une impuissance déguisée, et dans une de ces crises de conspirations et de réactions par lesquelles passait son pays, il disait lestement : « Quant à moi, j’ai été longtemps indécis au milieu de ces mouvemens en sens contraire. La raison me retenait vers la modération ; l’envie démesurée de faire marcher nos reculeurs me rejetait vers le mouvement. Enfin, après de nombreuses et violentes agitations et oscillations, j’ai fini par me fixer, comme le pendule, dans le juste-milieu. Ainsi je vous fais part que je suis un honnête juste-milieu, désirant, souhaitant le progrès social de toutes ses forces, mais décidé à ne pas l’acheter au prix d’un bouleversement général… Mon état de juste-milieu ne m’empêchera cependant pas de désirer le plus tôt possible l’émancipation de l’Italie des barbares qui l’oppriment, et par suite de prévoir qu’une crise tant soit peu violente est inévitable ; mais cette crise, je la veux avec tous les ménagemens que comporte l’état des choses, et je suis en outre ultra persuadé que les tentatives forcenées des hommes du mouvement ne font que la retarder et la rendre plus chanceuse… » C’était déjà, si l’on veut, un libéral cachant un homme de gouvernement, ou un conservateur qui, malgré sa profession de « juste-milieu, » n’avait rien de doctrinaire, qui ne mettait pas le dernier mot de la sagesse dans l’immobilité, qui entendait faire de la modération une politique d’initiative et d’action réalisant ce que les révolutionnaires promettent et le faisant mieux.

Le libéralisme de Cavour avait un autre caractère. D’autres ont contribué aux mouvemens italiens et sont entrés dans la politique par les lettres, par la philosophie. Gioberti ravivait le sentiment de la primauté de l’Italie. Balbo, par une série de déductions patientes et ingénieuses, cherchait dans le passé l’aliment de nouvelles espérances. D’Azeglio écrivait ses romans et ses brochures d’une éloquence fine, sensée et entraînante. Camille de Cavour n’était ni un philosophe, ni un historien, ni un poète ; son libéralisme était d’un