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Malheureusement on négociait en vain depuis deux ans, et attendre plus longtemps, c’était énerver les institutions nouvelles, laisser supposer que dans un état libre il pouvait y avoir deux lois, deux pouvoirs, deux juridictions. Il y avait, il est vrai, bien d’autres questions de réformes civiles, d’organisation ecclésiastique, naissant invinciblement du régime constitutionnel. Pour le moment le ministère n’allait pas si loin, il se bornait modestement à proposer l’abolition des privilèges ecclésiastiques, de ce qu’on appelait le foro. C’était toute la loi présentée par le ministre de la justice, le comte Siccardi, soutenue par tous les libéraux sincères, contestée avec embarras par une partie de la droite ministérielle, combattue avec acharnement par la réaction. Cavour ne pouvait hésiter ; il était de ceux qui avaient pressé le ministère de présenter la loi, et, lorsque la discussion s’ouvrait au mois de mars 1850, il saisissait cette occasion de revendiquer les droits de la société civile en face des privilèges de l’église, de résumer hardiment la vraie politique constitutionnelle. Il combattait ceux qui s’opposaient toujours aux réformes, tantôt parce que les temps étaient agités, tantôt parce qu’ils étaient tranquilles ; il rappelait les hommes d’état de l’Angleterre sachant détourner les révolutions par des mesures opportunes, et il ajoutait : « Les réformes faites à temps n’affaiblissent pas l’autorité, elles la raffermissent et réduisent à l’impuissance l’esprit révolutionnaire. Je dis donc aux ministres : Imitez franchement le duc de Wellington, lord Grey, sir Robert Peel… progressez largement dans la voie des réformes sans craindre qu’elles soient hors de propos. Ne pensez pas que le trône constitutionnel en puisse être affaibli, il en sera affermi au contraire, et il jettera dans notre sol de si profondes racines que le jour où la révolution se relèverait autour de nous, non-seulement il pourra la dominer, mais encore il groupera autour de lui toutes les forces vives de l’Italie et conduira la nation aux destinées qui l’attendent… » Ce discours, un des premiers où se soit dévoilée la pensée de Cavour, dépassait visiblement la limite d’une question spéciale, et en décidant du succès de la loi il laissait dans le parlement, dans l’opinion, une impression profonde comme s’il eût été la révélation d’une politique et de l’homme fait pour cette politique.

Bientôt une occasion nouvelle s’offrait. Cette fois il s’agissait, non plus d’une de ces questions délicates qui remuent toutes les passions, mais des finances cruellement embarrassées du Piémont, à propos d’une aliénation de 6 millions de rente. Cavour défendait le ministère, écartant les griefs puérils et les projets chimériques ; mais en défendant le gouvernement il lui faisait sentir l’aiguillon ; il passait à son tour la revue de la situation économique en homme