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du désir de la ramener à la cause protestante, ou ne sut-il pas résister à ces flatteries que la jeunesse repousse avec bien moins d’efforts qu’une vieillesse rude et austère ? « Jacquette d’Antremon, courageuse dame, écrit d’Aubigné, prit un tel désir de l’épouser sur sa réputation, que contre les défenses et prescriptions de son duc elle s’en vint à La Rochelle pour être appelée avant de mourir, ainsi qu’elle le disait, la Martia de ce Caton. »

Louise de Coligny ne vit sans doute pas arriver sans quelque effroi une belle-mère enthousiaste, qui s’était échappée sur un petit bateau du Rhône pour aller épouser le Caton huguenot. L’amiral comprit qu’il devait chercher aussitôt un mari pour sa fille ; il « l’aimait tendrement, dit Du Maurier, et souhaitait passionnément de la bien placer. » Son choix, on le sait, tomba sur Téligny, qu’il avait élevé et qu’il aimait comme son fils.

Les Téligny étaient alliés aux maisons de Montmorency, de Châtillon, de Condé et de La Rochefoucauld. Louis de Téligny, le père de celui qui devait épouser la fille de l’amiral, avait mal mené ses affaires. « Ce fort honnête gentilhomme, dit Brantôme, imita le père en valeur et sagesse, et pour estre tel, il fut en ses jeunes ans guidon de feu monseigneur d’Orléans ; dont il s’acquitta si dignement que, pour se faire paraître en cette charge, s’enfonça si fort en de grandes debtes, comme sont coutumiers les jeunes gens, que, ses créditeurs le poursuivant estrangement, fut contraint d’abandonner la France et se retirer à Venise où, de mon temps, je l’ai vu ; et si monctrait encore, en sa misère et pauvreté, un courage bon et point encore ravallé. Il y est mort pourtant en cet estat. » L’amiral avait été un second père pour le jeune fils de son ami ruiné, et Charlotte de Laval avait eu aussi pour lui la tendresse d’une mère. Tous les écrivains du temps représentent Charles de Téligny comme un gentilhomme accompli, beau, de douce nature. Il alla voir son père à Venise en 1561 et s’arrêta quelque temps à la cour du duc de Savoie, Philibert-Emmanuel ; Coligny le fit nommer en 1562 gentilhomme de sa chambre et lui donna la lieutenance d’une compagnie. La guerre civile éclata la même année, et le prince de Condé dépêcha Téligny au duc de Savoie. Le jeune ambassadeur revint à temps pour prendre part à la bataille de Dreux, et Coligny peu après l’envoya en Angleterre avec des lettres pour la reine Élisabeth et pour Cecil. Quand le prince de Condé eut signé la paix d’Amboise, Coligny retourna assez mécontent à Châtillon, où Téligny alla le rejoindre.

Pendant la paix de quatre années qui suivit, Téligny fut chargé par Coligny d’une mission dont l’objet est encore aujourd’hui mystérieux. Il fut dépêché à Constantinople en l’an 1566, avec une suite de seigneurs huguenots, Ville-Conin, Genissac, Longua. « C’est un