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par les sources fameuses dont parle Pausanias, et un immense platane que la guerre de l’indépendance a rendu célèbre. C’est dans le creux de cet arbre que les Grecs enfermaient leurs prisonniers après l’insurrection de 1821. On y avait fixé une porte, et ce fut pendant un temps la plus sûre prison de la ville ; il y tenait jusqu’à dix hommes. Les jours où passe le paquebot, quand les malheureux voyageurs, pressés dans les barques, tentent la descente sur la jetée, une animation relative règne dans le port ; les vociférations des bateliers, les cris des passagers et des marchands, ce va-et-vient des mendians, des faquins, des chercheurs de nouvelles, tout cela fait deux fois par semaine un événement à Aigion. En temps ordinaire, le silence du port n’est guère troublé que par les chants monotones des pêcheurs installés le soir dans ce fouillis de constructions qui servent d’asile aux matelots.

On monte à la ville, soit par un étroit sentier gravissant presqu’à pic la falaise et qu’on appelle le Trou, soit en tournant à gauche, par un chemin beaucoup plus long et plus praticable, qui mène à la partie nord-est de la ville. Si le hasard faisait aborder un touriste à Aigion, c’est ce dernier chemin qu’il devrait prendre ; un quart d’heure de marche suffit pour tourner la falaise et atteindre les premières maisons. C’est alors que s’ouvre la série des étonnemens et des déceptions.

Il est prudent, avant de descendre à Aigion, d’avoir acquis une certaine expérience de la vie orientale et de s’être appliqué à dédaigner le confortable et le bien-être matériel. Il faut s’attendre encore à plus d’une surprise. Le sort voulut que le jour de mon arrivée, au mois d’octobre, fût précisément un jour assez froid ; cette température est exceptionnelle en Grèce : les maisons n’ont pas de cheminées. Je me réchauffais de mon mieux à un brasero quand on vint m’annoncer qu’un déjeuner de gala m’attendait : je ne pus rien manger ni boire de ce qu’on me servit. Le pain est pétri sans levain, on ne le sale pas et on le cuit mal ; quant au vin, il est très sain et serait bon, si l’on n’y ajoutait pour le conserver une assez grande quantité de résine, ce qui en fait un breuvage noir, épais, très amer. Le reste est à l’avenant : on sert à chaque repas une soupe dite aux tomates et au poisson ; c’est un simple bouillon de poisson auquel on ajoute des tomates, plusieurs citrons et de l’huile. Puis viennent les poissons bouillis, le mouton bouilli et passé au four, du riz à l’huile, aux tomates et toujours au citron, une salade de légumes encore bouillis, appelés lakhana, enfin une sorte de fromage blanc dur, crayeux, au lait de chèvre et sentant à plein nez la peau de bouc dans laquelle il a été conservé. J’appris que ce menu se répéterait pour moi toujours le même, et que les jours maigres, c’est-à-dire