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soie claire, longue et large, comme celles qu’on portait en Europe il y a une quinzaine d’années, d’une veste analogue à celles dont se parent les hommes et d’un fez. Cet assemblage forme un contraste choquant et du plus mauvais effet. On trouve pourtant encore dans certains villages, particulièrement à Delphes, au pied du mont Parnasse ou chez quelques paysannes, des costumes qui ont gardé tout leur caractère. Plus riches encore que ceux des hommes, ils forment un trésor de famille et se transmettent de génération en génération. Les jeunes filles aux longues nattes noires tombant sur leurs épaules s’en parent les jours de grandes solennités. Aux noces, par exemple, elles portent une chemise de soie très longue qui forme robe, serrée à la taille par une agrafe d’argent ; un tablier aux vives couleurs, attaché sous la ceinture, descend jusqu’à la cheville ; un manteau long, ouvert sur le devant, tombant droit, sans manches, laisse dégagés la poitrine, l’agrafe et le tablier. La chemise, entr’ouverte sur la gorge, est fermée par des boucles de pierreries ou de métal ciselé et couverte de riches ornemens. Des colliers de médailles antiques ornent le cou, le front, les cheveux, et retiennent un voile merveilleusement brodé.

J’ai trouvé à Aigion même des costumes de femmes qui, bien que moins riches, n’étaient pas moins curieux. Je me souviens qu’un soir, quelques jours après mon arrivée, comme je me promenais en dehors de la ville, sur un plateau qui domine la campagne, je vis venir au loin une troupe assez nombreuse de travailleurs, dont le chant doux et tranquille arrivait jusqu’à moi, troublant à peine de son paresseux murmure le calme mystérieux du crépuscule. Ils montaient lentement, tous ensemble, par une route toute blanche dans la verdure noire des oliviers ; leur chant grandissait peu à peu, et je les vis bientôt qui passaient devant moi : les hommes marchaient en tête, répétant sans y prendre garde les mêmes mesures de leur rustique chanson, les femmes venaient après, courbées sous le poids des instrumens et des fagots qu’elles portaient sur le dos, et chantant, comme chantaient ceux qui les précédaient. Le costume pour toutes était à peu de chose près le même : au lieu de la chemise de soie, une chemise de cotonnade transparente et lamée de rayures écrues, ouverte au col et sans parure ; un tablier de gros drap rouge éclatant, serré à la taille, et un long manteau brun sans pli, sans ornement, tombant jusqu’aux genoux, découvrait le tablier et la poitrine et les longues manches traînantes de leur chemise blanche.

On parle beaucoup de la beauté des Grecs, et j’étais arrivé imbu de préjugés dont j’ai dû rabattre la meilleure partie. Les hommes sont beaux dans toute l’acception du mot, aussi beaux que devaient