Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout ailleurs, elles n’aspirent qu’à quitter cette famille où ne les retiennent du reste ni le bien-être, ni l’affection, ni rien qui ressemble au bonheur, comme si elles devaient trouver dans cet inconnu qu’elles rêvent un changement à leur triste situation. Aussi ne voit-on pas de vieilles filles en Grèce. La désillusion vient vite après le mariage, mais avec elle les soucis, les travaux, les fatigues du ménage, et la réalité exige trop de ces jeunes femmes pour laisser place, même au plus profond de leur âme, à des rêveries ou à des regrets. Elles font alors ce qu’avaient fait leurs mères, ce que font toutes les femmes là-bas, elles vivent pour les autres, pour leurs enfans, pour leur mari, pour la richesse de leur maison, et mènent jusqu’au bout leur monotone existence exempte de poésie, mais pure de toute tache.

Les grand’mères sont les seules femmes qui se reposent en Grèce. C’est attendre un peu tard ; mais du jour où elles vivent dans la maison de leur gendre ou de leur bru, passant d’un extrême à l’autre, elles ne s’occupent plus de rien : égrener une à une et lentement les boules parfumées de leur comboloi (sorte de chapelet que les Grecs et les Turcs portent toujours sur eux pour se distraire), bavarder, manger, assourdir leurs petits-enfans de menaces comiques et de remontrances, ce sont là leurs passe-temps quotidiens. Dire qu’elles sont choyées, gâtées par leurs enfans réunis autour d’elles, ce serait beaucoup exagérer ; en les recueillant auprès d’eux, c’est plutôt un devoir que ceux-ci remplissent avec assez d’indifférence. Le jour où elles s’éteignent est sans doute un jour de deuil, mais c’est toujours un événement que la nature faisait prévoir et auquel chacun s’attendait. La tranquille philosophie des Grecs fait prompte justice de ces fâcheux souvenirs et se console aisément.

Si modeste, si humble qu’elle soit, la vie des femmes à Aigion m’a paru propre à nous faire juger celle des musulmanes, que nos regards profanes ne sauraient pénétrer : comme celles-ci, elles ont non pas un mur, mais un rempart moral derrière lequel elles vivent à l’écart ; à vrai dire, elles n’ont dans la société d’autre rôle que celui d’épouses, leur existence est si bien éteinte, si abaissée, qu’elles perdent peu à peu la conscience de leur personnalité, et s’endorment insouciantes sous la domination de l’homme, comme ces oiseaux habitués à la cage qui finissent par préférer à la longue leur servitude à l’air et à la liberté.

II.

Les étrangers qui ne connaissent de la Grèce qu’Athènes ne retrouveront dans leurs souvenirs aucune de ces observations. Presque