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rans en savent de longs passages, et tant qu’on parlera de brigands en Grèce, les jeunes gens réciteront pleins de ferveur et d’émotion ces admirables chants. Je n’en citerai qu’un à titre de souvenir, et comme celui de tous qui m’avait le plus frappé. Je l’ai trouvé plus tard publié dans une édition allemande de Passow et dans l’Italien Tomasseo, mais avec des variantes considérables. C’est à mon sens un des meilleurs et des plus beaux que j’aie entendus. Voici dans quelles circonstances.

Un des derniers jours du printemps, j’étais parti seul le matin, avec mon chien, pour chasser les tourterelles de passage à cette époque. La chasse m’avait entraîné trop loin ; je vis sur le soir que je n’aurais ni le courage ni la possibilité de revenir à pied à Aigion et je me mis en quête d’une petite maison que je savais proche de la source où je m’étais arrêté. La nuit se faisait un peu sombre, et dans ce fouillis de plantes grimpantes et d’arbustes vifs qui couvrent les montagnes d’Achaïe j’avais peine à trouver mon chemin. J’en vins à bout pourtant, et il était nuit noire quand les aboiemens furieux des chiens de garde m’annoncèrent au propriétaire de la cabane. J’étais harassé, glacé par la fraîcheur du soir ; mon pauvre chien, baissant la tête, se serrait contre moi comme pour implorer mon secours. Une petite porte s’ouvrit, laissant briller au dehors un peu de la flamme tremblante qui éclairait la chambre. Un vieillard parut sur le seuil une lampe à la main, et d’une voix rude, profonde : — Sôpa moré, cria-t-il en appelant ses chiens, sôpa ! — Je le reconnus à sa voix, c’était le vieux Demitri. — Je savais que c’était vous, me dit-il ; je vous ai vu aujourd’hui dans la montagne, et je vous ai entendu tirer. Eh bien ! qu’apportez-vous ? — Pour toute réponse, je lui ouvris en riant mon carnier assez bien rempli ; il y plongea la main, et de ce demi-sourire particulier aux Grecs : — Allons, c’est une bonne chasse ; entrez, vous trouverez du feu.

Je le suivis dans l’unique pièce de sa maison ; le pauvre homme avait prévu que je m’éloignais trop et que je, viendrais le soir lui demander un gîte ; tout était préparé pour me recevoir. La salle basse et sombre s’éclairait à peine à la flamme de sa lampe de cuivre à trois becs qu’il avait posée à terre dans un coin ; mais par instans un feu de branches de sapin installé dans une sorte de cheminée pratiquée contre le mur réveillait de ses lueurs gaies et brillantes le triste aspect de ce réduit. Il n’y avait pour tout mobilier qu’un matelas dans un coin, un tapis et une couverture dans l’autre ; mais je vis mon hôte approcher du feu une petite table ronde en bois blanc aux pieds très courts, sur laquelle il posa deux plats vides, puis, fouillant sans façon dans mon carnier, il y prit deux