Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des intérêts. Sans doute les deux pays étaient gouvernés par des princes absolus appartenant à la maison de Bourbon; mais les rois de France, avec toutes leurs fautes, ne séparaient pas la politique extérieure des intérêts de la nation, bien ou mal compris, et sur chaque entreprise, même au XVIIe siècle, il se faisait une espèce d’opinion publique dont le murmure arrivait jusqu’à la cour. Depuis quelques années, cette opinion envahissait tout, jugeait les plans des ministres, se faisait écouter, non-seulement à la cour, mais dans toute l’Europe. En Espagne, la monarchie n’était ni inquiétée par la turbulence des uns, ni servie par la docilité des autres. Elle était héritière d’une maison qui avait poursuivi ses vues ambitieuses au détriment de la nation espagnole, étendu démesurément sa puissance au dehors, et qui en avait tari les sources par un despotisme mesquin. Ne trouvant dans l’opinion publique ni appui ni contradiction, cette monarchie dépérissait par l’isolement. Livrée aux inspirations d’un premier ministre plus ambitieux qu’habile et plus remuant qu’actif, accoutumée à mesurer sa grandeur par l’étendue de ses possessions, incapable de discerner entre plusieurs maux celui qui réclamait le remède le plus prompt, elle portait une main tremblante sur toutes les parties de son vaste domaine et s’épuisait à conserver des conquêtes lointaines et précaires.

Les vices d’une telle politique éclatèrent en 1779 : tandis que les ministres français, après de longues hésitations, se décidaient à soutenir les Américains sans arrière-pensée, le ministre espagnol, Florida Blanca, flottait encore entre des résolutions contraires : d’une part abaisser l’Angleterre, lui reprendre Gibraltar et Majorque; de l’autre étouffer ou contenir une insurrection dont il comprenait toute la portée. Ce n’était point assez que les intérêts de l’Espagne fussent douteux : il fallait encore satisfaire au pacte de famille, qui liait les deux branches de la maison de Bourbon; il fallait surtout que le ministre contentât sa propre ambition et choisît le rôle le plus fastueux, sinon le plus utile à son pays. Il essaya d’abord de se porter médiateur, soit entre les colonies et la métropole, soit entre l’Angleterre et la France; mais il manquait à cet arbitre la confiance ou le respect des parties en cause. Il offrit alors son alliance aux deux ennemis simultanément, et s’arrêta au dessein chimérique d’abaisser à la fois l’Angleterre et les colonies. Parmi toutes ces vaines finesses, qui sentaient l’ancien procureur n’ayant su se tracer aucune ligne de conduite, il s’abandonna à la routine du pacte de famille et subit l’ascendant de la France. Ce rôle effacé le servit mieux que n’avait fait l’intrigue. A la faveur d’une alliance dont il ne se soucia jamais d’exécuter les charges, sans avoir prêté aucun concours efficace aux belligérants, il put tirer de l’Angleterre la restitution de la Floride et des Baléares.