Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui lui donnaient occasion de visiter tantôt l’Egypte et tantôt la Grèce; puis il revint en Angleterre pour être envoyé bientôt après en Suède avec un corps expéditionnaire qui n’y fit rien d’utile. Enfin en 1808 il s’embarqua de nouveau pour le Portugal avec l’armée commandée par sir John Moore. Cette première campagne dans la Péninsule ne fut pas heureuse pour les Anglais. Napoléon les obligea de se rembarquer assez vite. L’année suivante, ils y revenaient sous le commandement de sir Arthur Wellesley, depuis lord Wellington. Burgoyne en était encore. Alors commença pour lui une série de marches et de retraites, de combats et de sièges qui se prolongea jusqu’en 1814.

Une singulière campagne en vérité que ces cinq années de latte dans la Péninsule, et un singulier général en chef que lord Wellington! Méthodique, temporisateur, il était juste l’opposé du brillant capitaine qu’il eut ensuite la rare fortune de vaincre à Waterloo. Ceux de nos généraux qui ont combattu côte à côte avec les Anglais sur le plateau de la Chersonèse reconnurent à quarante ans de distance dans Raglan, Burgoyne et tant d’autres les dignes élèves de Wellington, calmes, flegmatiques, suivant d’un œil également attentif les faits de guerre et les négociations diplomatiques. Wellington ne livre bataille que si les chances sont toutes de son côté, autrement il préfère se replier; se trouve-t-il en face de forces supérieures, il recule avec lenteur derrière les lignes de Torres-Vedras, il y attend avec patience que les événemens extérieurs obligent l’ennemi à se retirer. Entreprend-il un siège, il ne s’obstine pas jusqu’au bout; dès qu’il se sent menacé par une armée de secours, il décampe à la veille peut-être de réussir. Au fait, le temps travaillait en sa faveur; pourquoi eût-il sacrifié des soldats? La campagne de Russie, celle d’Allemagne en 1813, lui profitaient autant que des victoires et sans lui rien coûter. Notre armée, rappelée en France par les désastres d’outre-Rhin, lui livrait l’Espagne jusqu’aux Pyrénées. Du reste il était libre dans ses allures autant que le fut jamais général en chef, car il était si loin de Londres qu’il n’en pouvait recevoir que de rares directions. Le gouvernement portugais s’effaçait devant lui. C’est Burgoyne qui le dit : « Lord Wellington a toutes les ressources du Portugal dans la main, et sa parole est la loi. » Ce qu’il y avait de meilleur dans l’armée portugaise était à la solde de l’Angleterre; les troupes de ce contingent, mieux payées que le reste, étaient en outre commandées par des officiers anglais. Enfin aucune considération d’humanité n’embarrassait lord Wellington dans ce pays qui n’était pas le sien. Piller les villes, détruire les ponts et brûler les villages, cela n’excitait guère de scrupules dans l’âme d’un général qui avait précédemment fait la guerre contre Tippoo-Sahib.