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banque, le maniement des affaires et des hommes n’a rien de caché pour lui. Chacune des positions qu’il a occupées a ajouté quelque chose à son expérience. Dans toutes, il a fait preuve d’une rare fermeté et d’une sagacité plus rare encore. Nous allons le voir appliquer ces qualités à la conduite d’une grande guerre.


II

Tout le monde sait quelle était la situation de Washington au moment où éclatait la guerre de sécession. Ce Versailles américain, jusqu’alors le point central du plus pacifique des empires, se trouvait subitement transformé en ville frontière, et menacé par une armée ennemie dont les avant-postes s’apercevaient de l’autre côté du Potomac. Pour résister à une attaque dont aucun Américain n’avait jamais rêvé la possibilité, il fallait tout improviser, tout créer. Des troupes régulières, entretenues jusque-là par le gouvernement des États-Unis et dispersées sur son vaste territoire, on n’avait pu recueillir que d’infimes détachemens, et la moitié de leurs officiers, originaires des états séparatistes, avaient passé à l’ennemi. Les premières mesures prises pour suppléer à cette détresse militaire avaient été ridiculement insuffisantes. On s’était borné à ordonner la levée de quelques régimens de ces volontaires engagés pour trois mois, sorte de garde mobile élisant ses officiers, pour laquelle Shernan, avons-nous vu, professait un si profond mépris. Peu après, il est vrai, l’étendue du danger se révélant à tous les yeux, M. Lincoln avait demandé au congrès 400,000 hommes engagés pour trois ans, et 400 millions de dollars ; mais pour rassembler et équiper 400,000 hommes il fallait du temps. Les vieux officiers voulaient qu’on fît tout au monde pour en gagner. Ils avaient, dès les premiers jours, fait construire sur la rive virginienne du Potomac une série d’ouvrages, sorte de tête de pont et de camp retranché qui, mettant la capitale à l’abri d’un coup de main, auraient permis d’attendre la réunion d’une force suffisante pour prendre avec succès l’offensive.

Les exigences de la foule sont les mêmes partout. Malheur aux gouvernemens condamnés à leur obéir ! La vue des uniformes, le défilé, l’enthousiasme bruyant des volontaires de trois mois qui remplissaient Washington, troublèrent toutes les têtes. Le cri de : à Richmond ! poussé par le congrès, par les journaux, par les badauds, fit taire les conseils de la froide raison. Les hommes qui ne s’exposent jamais, qui ne se battent qu’à coups d’injures et de calomnies, émirent des doutes cruels sur le courage des chefs qui résistaient à cet entraînement et voulaient attendre, pour se faire tuer, de pouvoir le faire utilement pour la patrie. La marche