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rebelles ? Le chef d’état-major prit le crayon et traça une ligne passant par Bowling-Green, etc. — Voilà leurs positions, dit le commandant en chef. Maintenant par où vaut-il mieux couper leur ligne ? — Ici le chef d’état-major ou moi, dit Sherman, dont la modestie emploie toujours en pareil cas le dubitatif, répondit : Naturellement par le milieu. — Le général traça alors avec son crayon une ligne perpendiculaire par le milieu, qui se trouva coïncider presque avec le cours de la rivière Tenessee, et dit : — Voilà la vraie ligne d’opérations. »

Un mois après le jour où le grand crayon du général de cabinet avait ainsi ébauché le plan de campagne, un général de combat, qui paraissait pour la première fois sur la scène, l’exécutait avec une rare énergie, brisait la ligne ennemie, tombait successivement sur ses tronçons séparés, puis marchait en avant, refoulant et désorganisant tout devant lui, sans s’inquiéter des cris et des colères du Carnot de Saint-Louis, dont l’horlogerie militaire était toute détraquée par ces brusques opérations. Ce jeune général était Grant, le président actuel des États-Unis, et Sherman, son ami, son émule, était heureux d’aller servir sous ses ordres avec le commandement d’une division.

A peine l’a-t-il rejoint qu’il est appelé à prendre part à une des plus terribles batailles de la guerre, la bataille de Siloh. Grant, poursuivant ses premiers succès et voulant se saisir rapidement d’une ligne de chemin de fer importante, a remonté avec une flottille la rivière Tenessee, et débarqué une partie de son armée sur ses rives, tandis que le reste de ses forces suit par terre à marches forcées ; mais avant que ces renforts aient eu le temps d’arriver, Sherman, allant en reconnaissance, reçoit une volée de coups de fusil qui tue son planton, puis il voit reluire les baïonnettes de grandes masses d’infanterie, et en un instant les fédéraux sont attaqués par des forces très supérieures. Adossés à une large rivière, ils ne peuvent être tournés ; mais il n’y a point de retraite, et le premier choc est si rude qu’un mouvement de recul se manifeste. Il est heureusement arrêté grâce à Sherman et à l’ascendant qu’il exerce déjà. Son cheval est tué, deux de ses brigadiers gisent sur le sol, ses pertes sont grandes ; mais on lutte toute la journée et on finit par atteindre le port de refuge des armées en détresse, la nuit.

À ce moment, Grant et Sherman se rencontrent. La moitié de leur armée a disparu ; néanmoins ces deux chefs résolus décident, séance tenante, malgré le désordre, l’incertitude, la fatigue, la pluie, les émotions de toute sorte, de recommencer le combat le lendemain. Dans cette espèce de conseil, Sherman avait apporté les mêmes impressions qu’après Bull’s-Run. De son côté, Grant en avait éprouvé