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soupçonné que la guerre pût venir jusqu’à eux, on traversait le pays abondamment pourvu. Ce système de fourrageurs était bien une forme de pillage, mais « il était indispensable là où il n’y avait ni magistrats, ni autorités civiles pour répondre à des réquisitions, comme cela se fait dans les guerres européennes. » Par ce moyen, l’abondance ne cessa de régner, et soldats, chevaux et attelages arrivèrent au terme du voyage en parfait état.

En route, on avait traversé Milledgville, capitale de la Géorgie, où Sherman avait trouvé tous les journaux de la confédération, et appris, par eux la consternation dont tout le sud avait été saisi à la nouvelle de sa témérité : « Beaucoup d’entre eux annonçaient gravement que nous étions en déroute, que nous nous précipitions vers la mer pour y chercher la protection de nos vaisseaux, et demandaient qu’aucun quartier ne fût fait. D’après leur dire, le monde du dehors eût du nous considérer comme entièrement perdus. »

Les journaux n’étaient pas seuls à se permettre de folles jactances ; les meneurs politiques adressaient aux populations les appels les plus pathétiques et les exhortaient à déployer un héroïsme dont ils étaient loin de donner l’exemple. Ces appels étaient dans cette forme stéréotypée que nous avons malheureusement appris à connaître, En voici deux échantillons :


« Au peuple de Géorgie.

« Nous avons eu une conférence spéciale avec le président Davis et le ministre de la guerre. Ils ont fait et ils font tout ce qui est possible pour faire. face au danger. Que tout le monde coure aux armes ! Emmenez nègres, chevaux, bétail, provisions de toute sorte et détruisez ce que vous ne pouvez emporter. Brûlez les ponts, coupez les routes et assaillez l’ennemi en tête, en flanc, en queue, la nuit comme le jour ! »

« Signé : les députés de la Géorgie. »


« Au peuple de Géorgie.

« Vous avez la meilleure occasion qui se soit jamais présentée de détruire l’ennemi…. Chaque citoyen avec son fusil, chaque nègre avec sa pelle, peut faire l’ouvrage d’un soldat. Vous pouvez détruire l’ennemi en retardant sa marche.

Géorgiens, soyez fermes, prompts à l’action, insensibles à la crainte.

« Signé HILL, sénateur,

« Approuvé cordialement.

« Le ministre de la guerre. »


Tout était dans ce ton. Aux proclamations se joignait le bagage habituel des décrets puérils ordonnant la levée en masse,