Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/530

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

interrompue des prérogatives ou des charges particulières aux diverses classes du peuple. C’est là le point central où convergent les nombreuses réformes du règne actuel, là le point culminant d’où l’observateur en découvre le mieux la marche et la portée. Réforme administrative ou judiciaire, réforme ecclésiastique, financière ou militaire, tous ces changements qui touchent à toutes les branches de la vie publique, toutes ces parties d’une même œuvre qui se complètent chaque jour, tendent au fond, plus ou moins directement, plus ou moins consciemment à la même fin, à l’abaissement des barrières de castes, à l’effacement des vieilles lignes de démarcation, à l’élargissement des anciens compartiments sociaux, en un mot à l’égale distribution entre toutes les parties de la nation des faveurs et des charges de l’état. Que le but soit ou non distinctement aperçu des hommes qui s’en rapprochent, qu’ils l’aient poursuivi avec une libre et claire volonté, ou qu’ils aient à leur insu cédé à un secret et involontaire entraînement, le terme final n’en apparaît pas moins après coup avec une parfaite netteté. Quelque partie des affaires, quelque branche de l’administration que l’on veuille étudier, sous quelque côté que nous voulions prendre la Russie moderne, tribunaux, armée, impôts, institutions municipales ou provinciales, nous y retrouverons toujours la même tendance. Là, encore une fois, est le lien qui rejoint toutes les réformes récentes et leur donne ce qui fait les grandes œuvres, l’unité. Certes il y a des incohérences, des restrictions, des contradictions de détails, on peut signaler çà et là, depuis quelques années surtout, des incertitudes, des velléités de réaction, des tentatives de retour en arrière ; mais nous aurions tort de leur donner trop d’importance et de nous y laisser distraire. Dans la Russie d’hier, dans la Russie de Pierre le Grand et de ses successeurs, tous les droits, toutes les immunités administratives, judiciaires, militaires étaient attribuées à chaque classe du peuple séparément ; aujourd’hui prévaut le procédé inverse, le procédé démocratique, devant lequel il y a un peuple et non des classes isolées. Au milieu du XIXe siècle, la Russie en était encore sous ce rapport aux vues et aux usages du moyen âge ; sous le règne actuel, elle est définitivement devenue un pays moderne. A cet égard, l’œuvre encore inachevée de l’empereur Alexandre II ressemble singulièrement à l’œuvre aujourd’hui incontestée de notre révolution française, et le terme final, le résultat capital en sera le même, l’égalité civile sans distinction de classe, de race ou de religion.

Entre la réforme russe et la révolution française il y a cependant une double et importante différence : la première dans la manière dont chacune d’elles a été préparée, la seconde dans la manière dont l’une et l’autre ont été conduites. Dans la France de l’ancien