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d’Odessa. Lequel des deux systèmes triomphera définitivement ? lequel sera préféré le jour où l’empire recevra une constitution générale ? La noblesse, les villes et les paysans auront-ils encore des représentans distincts, élus séparément et délibérant seulement en commun ? ou bien l’un des ordres de l’état, la noblesse par exemple, avec ou sans le clergé, aura-t-il, comme en Angleterre, une chambre particulière ? Il y a là pour l’avenir de la Russie une question analogue à celle qui se posa chez nous au début de la révolution, lors de la convocation des états-généraux : question délicate qui, en demeurant en suspens, contribuera peut-être à retarder l’avènement d’une constitution politique. C’est encore là un problème qu’on ne saurait résoudre sans s’être familiarisé avec la vieille organisation sociale, sans avoir mesuré la valeur et la force réelle, le degré de civilisation et le degré d’individualité de chacun des grands groupes dont se compose la nation.

Tout un tome du volumineux code russe, svod zakonof, est consacré aux classes, états ou conditions[1]. Le svod n’offre pas moins de seize cents articles sur cette difficile matière, et de nombreux changemens, corrections et appendices en accroissent constamment la complexité. La loi reconnaît en Russie quatre classes principales, la noblesse, le clergé, les habitans des villes, les habitans des campagnes. Cette division sort naturellement de l’histoire de l’ancienne Russie ; on pourrait dire qu’elle sort de l’état social de tous les peuples primitifs. De l’Inde à la Scandinavie, presque partout à un certain âge de la civilisation, se retrouvent ces quatre ordres fondamentaux, les deux derniers tantôt séparés comme en Suède, tantôt réunis sous un même nom comme en France, sans être réellement confondus : en haut, les guerriers ou la noblesse, les prêtres ou le clergé, au-dessous les marchands ou la bourgeoisie, en bas enfin le paysan, cultivateur de la terre. Cette analogie de classification et de hiérarchie ne suppose, point partout une identité parfaite des choses. Pour porter dans notre langue au moins les mêmes noms que les classes équivalentes de l’Europe, de la Suède par exemple, les classes sociales de la Russie n’en diffèrent pas moins profondément de leurs homonymes étrangères, et ce serait s’exposer à de graves méprises que de juger des unes par les autres. Dans l’Europe occidentale, quel que soit l’état social actuel des différens peuples, en Espagne ou en Allemagne, en Italie ou en Angleterre, les mots de noblesse, de bourgeoisie, de paysans ont au fond le même sens, ils ont le droit de porter à l’esprit des idées analogues, parce que les classes que ces termes désignent sont nées au même

  1. Tome neuvième du Svod Zakonof, — Zakony o sostoianiiakh, plusieurs fois remanié en 1863, 1864, 1868, 1871, etc.