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et une véritable caste, les Israélites, même après les dernières réformes, demeurent encore, quant au domicile, quant à la propriété et aux fonctions électives, soumis à certaines restrictions qui continuent d’en faire une catégorie particulière au milieu même des classes dont ils sont membres.


II

La première chose qui frappe dans la répartition des classes de la population russe, c’est la proportion ou mieux la disproportion de leur force numérique, et en particulier la disproportion du nombre des habitans des villes et des habitans des campagnes. Cette dernière rubrique comprend à elle seule l’immense majorité des sujets russes. Dans la Russie d’Europe, sans le royaume de Pologne et le Caucase, les statistiques donnent pour la classe rurale (selskiie obytately), en y comprenant les Cosaques, le chiffre d’environ 55 millions d’habitans ; pour les classes proprement urbaines, marchands, bourgeois, artisans des villes de toute sorte, les mêmes documens offrent un chiffre inférieur à 6 millions[1]. Ces évaluations laissent en dehors la noblesse et le clergé, la première comptant dans ses deux subdivisions de 800,000 à 900,000 âmes, le second environ 600,000, le clergé habitant en majorité les campagnes, tandis que la noblesse se partage entre elles et les villes. Cinquante-cinq millions de paysans contre cinq ou six millions de bourgeois, de citadins de toute sorte, c’est là un fait considérable, un fait d’une importance capitale pour l’état social, l’état économique, l’état politique de la Russie.

L’importance de cette disproportion entre les deux principaux éléments de la population apparaît encore mieux, si l’on se rend compte de ce qui porte le titre de ville dans les statistiques russes. Ce n’est pas uniquement par leur rareté, leur dispersion sur un vaste territoire ou la faiblesse relative de leur population que les

  1. Les statistiques russes, et en particulier le Statistitcheskii Vrémennik, donnent à cet égard un double dénombrement en des tableaux séparés. La population s’y trouve à la fois répartie par classe, selon la qualité personnelle des habitans, et par localités, par villes ou districts ruraux, selon le domicile ou la résidence réelle des mêmes personnes. Ces derniers tableaux, s’appliquant à toute la population y compris la noblesse et le clergé, offrent naturellement pour les villes comme pour les campagnes un chiffre plus élevé. Le recensement de 1867 donnait ainsi pour la population rurale plus de 57 millions d’âmes, et pour la population urbaine 6,540,000. La comparaison des tables des deux modes de dénombrement montre que dans le second l’augmentation de la population des villes est en grande partie produite par le séjour des paysans qui y sont en résidence temporaire, et qui presque partout sont un des élémens importans de la population urbaine.