Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/566

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monétaire de fait. Ils sont convenus de donner le cours légal chez eux aux pièces d’or et d’argent fabriquées chez leurs associés. Les menues pièces d’argent, celles de 2 francs, 1 franc, 50 centimes, qui ne sont que du billon, jouissent même de cette faveur, ce qui peut être qualifié d’abusif. Tous les ans, les états, en cela confédérés, tiennent une conférence où ils se mettent en présence de l’acte qui les régit et dont depuis quelque temps la pratique leur cause de l’embarras.

Aux termes de la convention, la donnée sur laquelle se règle, dans l’union latine, la fabrication respective des pièces d’or et des pièces d’argent composant un même nombre de francs est qu’un kilogramme d’or est l’équivalent absolu de 15 kilogrammes 1/2 d’argent. C’est en effet, à peu de chose près, sur ce pied que s’échangeaient sur le marché général de l’Europe les lingots de l’un des deux métaux précieux contre ceux de l’autre en 1865, quand se constitua l’union latine[1]. On publia, en rédigeant la convention, qu’il n’y avait dans la nature des choses aucune raison pour que ce rapport de 1 à 15 1/2 entre l’un et l’autre métal subsistât indéfiniment et même pour qu’il ne fût pas profondément troublé. Il est pourtant évident que, si l’on voulait assurer de la durée dans un système monétaire composé des deux métaux précieux, le rapport entre la valeur attribuée à un même poids en pièces de monnaie respectives devait se conformer à la valeur respective des lingots, puisque dans les opérations commerciales les monnaies ne sont que des lingots certifiés qui s’échangent contre les autres marchandises en proportion de leur valeur courante. On avait donc inscrit dans la convention un principe contraire à l’ordre naturel des choses, et le malheur voulut qu’au moment même où l’on signait la convention, la valeur relative des deux métaux se mit à changer. L’argent éprouva par rapport à l’or une baisse sensible, et par conséquent la donnée fondamentale de la convention se trouva aussitôt faussée. Le courant du commerce, qui apporte chaque chose à l’endroit où elle se place avec avantage, apporta, en vertu de sa pente accoutumée, de l’argent dans chacun des états de l’union latine pour l’échanger contre des espèces en or. Ces envois d’argent étaient spécialement dirigés sur ceux de ces états qui avaient beaucoup de monnaie d’or, c’est-à-dire avant tout sur la France. Nous avons donné et nous donnons ainsi un métal valant plus contre un autre qui est déprécié, et notre monnaie tend à n’être plus composée que de ce dernier, l’argent, qui, outre le danger d’une dépréciation imminente, offre l’inconvénient d’une pesanteur incommode. La perspective de cette substitution soulève de vives réclamations.

  1. En réalité, l’or valait un peu moins que 15 fois 1/2 l’argent. En conséquence, l’argent avait été remplacé par l’or dans la circulation de la France.