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également admis à solder toute dette, quel qu’en fût le montant, — c’était le système de deux monnaies légales, — mais on était unanime dans la croyance que les pièces d’un seul devaient être absolument fixes dans leur teneur en métal fin, et, à cause d’une tradition ancienne, non-seulement en France, mais en Europe, on s’accordait à donner cette suprématie à l’argent.

On était alors très fortement préoccupé, et non sans raison, de la nécessité de susciter un obstacle insurmontable aux abus par lesquels l’ancien régime s’était signalé et déshonoré dans ses agissemens concernant les monnaies. On peut dire que depuis saint Louis, qui s’était comporté en parfait honnête homme, tous les rois, jusqu’à Louis XVI exclusivement, avaient altéré les monnaies et avaient été à la lettre et de propos délibéré des faux-monnayeurs. La mobilité du rapport entre les deux métaux précieux avait pu servir de prétexte à ces falsifications tant qu’il n’était pas expressément convenu que les pièces de l’un des deux, et nommément la pièce d’argent appelée la livre, était un élément immuable dans le système. Faute d’une précaution de ce genre, on faisait semblant de penser qu’il était légitime, si l’argent avait baissé de valeur, de diminuer le poids des pièces d’or pour qu’elles gardassent leur même relation avec l’argent, et puis, si quelque temps après la valeur de l’or baissait à son tour, de diminuer de même la quantité de métal fin contenu dans les pièces d’argent, et ainsi de suite ; si bien que tout le système allait en s’appauvrissant sans cesse, et successivement les pièces de monnaie de l’un et de l’autre métal approchaient de rien. C’est ce qu’exposait très clairement le rapporteur du conseil d’état, M. Bérenger, dans le second de ses rapports. « Avec la disposition, disait-il, qu’ont tous les gouvernemens à affaiblir les monnaies, la valeur la plus basse serait toujours prise pour mesure. On rapporterait alternativement la valeur de l’or à celle de l’argent et la valeur de l’argent à celle de l’or, et on redescendrait du franc au soixante-seizième du franc comme on était descendu de la livre au soixante-seizième de livre[1]. » Cette diminution successive du poids des pièces des deux métaux devait rencontrer un obstacle insurmontable dans l’établissement d’une unité monétaire déclarée par la loi invariable dans sa teneur.

La seule contestation à laquelle le projet de loi donna lieu et qui en retarda le vote de près de deux ans, concernait la pièce d’or exclusivement. Elle vint de ce que la section des finances du conseil d’état, chargée de faire la loi telle qu’elle serait présentée au corps législatif, était opposée à ce qu’on fit des pièces d’or de 20 francs, par la raison que c’était un poids d’un nombre de

  1. L’abaissement que la livre avait éprouvé dans sa teneur depuis Charlemagne.