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leur vaisselle plate, les ornemens entassés sur leur table ou étalés dans leur buffet, non pour en faire commerce en les troquant contre d’autres objets, mais à cause de l’éclat du métal et de la facilité avec laquelle il se prête à recevoir de belles formes, et ces avantages-là ne seraient pas atténués. Dans l’inventaire de leur fortune, il y aura quelque diminution répondant à la moins-value de la matière première de ces articles ; mais le dommage, peu considérable en comparaison de la valeur même des ustensiles et décors en argent, devra être accepté par eux comme un accident forcé. C’est la chance que courent souvent ceux qui descendent le fleuve de la vie en se transportant dans un temps nouveau avec le luxe d’un temps passé. Les personnes ou les institutions qui posséderaient de grosses sommes en pièces d’argent éprouveraient plus de préjudice, parce que la monnaie d’argent, sauf la retenue de 3/4 pour 100 moyennant laquelle se paient les directeurs des hôtels des monnaies, n’a pas plus de valeur que le lingot ; ce n’est pas comme les splendides objets où le travail fait les trois quarts de la valeur. Ces personnes ou ces institutions auront lieu d’être fort mécontentes de la baisse de ce métal, car elles supporteront le choc tout entier. Assurément ce sera regrettable, mais quel expédient existe-t-il pour empêcher cette perte ? Il n’y en a pas un qui soit avoué de la raison et de l’intérêt général. Vouloir, ainsi qu’on le propose, lutter contre la force des choses par le moyen d’une loi qui éterniserait le rapport de 1 à 15 1/2 entre la valeur de l’or et celle de l’argent, est une entreprise chimérique comme le fut la tentative de la convention de triompher de la cherté par le maximum, comme le sera tout effort ayant pour but de violenter le courant du commerce. Si le législateur français, alors que la valeur de l’argent est dix-sept ou dix-huit fois moindre que celle de l’or, décide qu’elle n’est moindre que dans le rapport de 1 à 15 1/2, il échouera ; il se fera passer pour arbitraire ou ignorant, comme le pauvre roi Louis XVI, lorsque sous le ministère de Turgot il jeta du haut du balcon de Versailles à la multitude la promesse de mettre le pain à trois sous la livre, alors qu’il en valait plus de quatre.

L’idée de perpétuer à tout prix un rapport absolument fixe entre les deux métaux précieux convertis en monnaie est une conception qui date de peu d’années. Les économistes français à qui elle est due sont des hommes de beaucoup de mérite assurément. Il n’en est pas moins vrai qu’elle n’a de justification ni en théorie ni dans l’histoire. On peut même dire que c’est le renversement des notions les mieux établies de l’économie politique.

Dans les siècles antérieurs à la révolution française, on voulait, à peu près dans tous les états indistinctement, monnayer les deux métaux précieux à la fois et les maintenir dans la circulation l’un