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remboursement des droits féodaux que la révolution de 1848 n’a supprimés qu’en en stipulant le rachat. C’est là une très lourde charge qui a pesé tout particulièrement sur les années qui viennent de s’écouler, et qui sera toujours moins sensible dans l’avenir. Plus nous avançons dans l’exposé de cette situation économique, plus il devient évident que l’on a tort de prendre un singulier concours de circonstances fatales pour des causes permanentes de dissolution. C’est ce que nous faisait remarquer un député avec qui nous voyagions sur des routes très imparfaites, mais qu’on améliore chaque jour. « Nous avons eu, me disait-il, à entreprendre en quelques années un renouvellement des travaux publics, de l’instruction publique, de l’armée, de l’économie agricole, pour lequel les autres nations ont eu un demi-siècle, et cela pendant que tous les fléaux s’acharnaient sur nous. »

Cet honorable représentant faisait surtout allusion aux chemins de fer, au réseau dont la Hongrie s’est couverte un peu hâtivement. Le moment est venu de reconnaître ce qu’il y a de vrai dans les reproches adressés aux Magyars : ils se sont jetés avec une sorte de fièvre dans un trop grand nombre d’entreprises, afin de réparer le temps perdu. Leurs chemins de fer, aujourd’hui très nombreux, prêtent à diverses critiques, si l’on excepte la route déjà ancienne de Vienne à Pesth et de Pesth à Bazias, une des plus importantes et des plus rapides de l’Europe. Le voyageur n’a qu’à se louer sans doute de la politesse des employés et de ses compagnons ; les voitures sont en général excellentes, mais les buffets sont loin de valoir ceux de la Russie par exemple ; les différens embranchemens concordent mal, et la lenteur est souvent excessive. Il y a telle station où l’employé crie tranquillement : Quatre-vingt-onze minutes d’arrêt ! et il tient parole. Ces défauts d’organisation sont dus à la précipitation avec laquelle des compagnies nombreuses et dépourvues de puissance financière se sont mises à l’œuvre. Pour ne pas les laisser périr, l’état se voit obligé à de grands sacrifices, et la nécessité d’une réforme s’impose aujourd’hui à tous les esprits.

En général, les Magyars n’ont pas assez conservé leur sang-froid depuis le glorieux rétablissement de leur autonomie. Ils se sont jetés dans des dépenses capables d’aggraver la crise inévitable que leur infligeaient des événemens indépendans de leur volonté ; ils ont été entraînés, par l’ardeur de leur patriotisme et quelque peu par la manie de spéculations qui a bouleversé Vienne et Berlin dans ces dernières années, à plus d’une entreprise prématurée ou dangereuse. Ils ne se sont pas toujours assez rendu compte de la vraie nature et des vraies conditions de leur richesse nationale. Voilà ce qu’on peut de leur reprocher, et voilà ce dont