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entrent en fonction lorsqu’elles y sont sollicitées par une excitation venue de ces nerfs, mais elles peuvent encore entrer en activité d’elles-mêmes, sans la moindre impression externe. Or la conscience ne connaît que ce qui se passe dans ces cellules, elle n’a aucune relation directe avec les appareils périphériques, et de toute nécessite elle admet comme vrai et réel ce que les centres nerveux lui indiquent. Si les hallucinations dépendent de l’activité anormale de nos sens internes, on comprend que les excitations cérébrales les plus vives sont seules capables de les produire ; il faut que tous nos sens soient troublés en même temps, afin qu’aucun ne puisse contrôler l’erreur des autres, et pour cela il est nécessaire, en dehors des cas pathologiques, que notre intelligence tout entière soit envahie et dominée par une seule et même idée.

Les circonstances qui favorisent la production de ces troubles intellectuels sont, en même temps qu’un esprit faible et facilement impressionnable, la frayeur, l’exaltation des passions, la solitude, l’obscurité. Chez les malades atteints d’affections cérébrales, l’hallucination est chose commune ; dans le cerveau sain, il faut, pour qu’elles se manifestent, tout un ensemble de conditions dont Shakspeare, surtout dans Macbeth, nous offre une étude très complète.

Shakspeare a commencé par nous montrer un soldat vaillant, mais dont l’âme crédule est dominée par une femme. Ambitieux et cruel, il demeure indécis, « laissant le je n’ose pas accompagner le je voudrais, » Lady Macbeth au contraire est d’une rare puissance de volonté ; son audace, sa froide résolution est inaccessible à la pitié. Ce n’est qu’aux heures du sommeil, quand sa volonté est absente, que ses sens et ses terreurs reprennent le dessus ; éveillée, elle redevient calme, et méprise alors avec une superbe ironie les hallucinations de son mari. Macbeth n’est pas un criminel fait d’une seule pièce ; ce n’est que peu à peu et par les côtés les plus vulgaires de la nature humaine que l’ambition et la convoitise entrent dans son âme. Ses succès à la guerre le gonflent d’orgueil ; aussitôt une vanité puérile, si commune chez les héros barbares, s’empare de tout son être ; c’est le moment que choisissent les sorcières pour le saluer thane de Cawdor et roi. N’est-ce pas l’histoire de bien des chefs d’armée ? Que de capitaines, jusque-là honnêtes et loyaux, sont devenus des ambitieux sans scrupule dès qu’ils ont acquis un peu de gloire et de puissance ! Que de généraux victorieux ont entendu dans l’exaltation du triomphe des voix intérieures qui leur criaient : « Tu pourrais être roi ! » A partir de cette heure, eux aussi ont été capables de tout.

Un criminel de sang-froid, Shakspeare le sait, n’aurait aucune hallucination ; il accumule toutes les circonstances favorables à