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n’est qu’au temps d’Ezéchias que le culte du serpent est définitivement aboli. D’après Sanchoniaton, cité par Eusèbe, on l’adorait en Phénicie : il était probablement la troisième personne de la trinité babylonienne ; les anciens Perses lui attribuaient également un caractère religieux. Même après l’avènement du christianisme, on retrouve ce culte en Orient : au témoignage de Tertullien, la secte célèbre des ophites, probablement originaire de la Perse, mettait le serpent au-dessus du Christ lui-même.

M. Fergusson, à qui nous laissons, bien entendu, toute la responsabilité de ses conjectures, croit retrouver dans l’histoire des religions de la Grèce antique les mêmes phases que chez le peuple juif. A une époque fort reculée, les Pélasges auraient eu pour divinités principales les animaux, surtout les serpens. Les Hellènes, vainqueurs des Pélasges, auraient engagé contre ce culte odieux une lutte dont Hercule est le héros. A peine est-il né qu’il trouve deux serpens dans son berceau et les étouffe ; plus tard, il tranche d’un seul coup les têtes toujours renaissantes de l’hydre, symbole de l’indestructible vitalité des superstitions populaires. De même Cadmus tue le dragon, et Apollon perce Python de ses flèches. Cependant le vieux culte n’est pas mort ; il est seulement devenu inoffensif pour la religion nationale de la race victorieuse : le serpent pélasgique est tombé, pourrait-on dire, au rang de dieu-patois. Dans cette position modeste, on le tolère, on le relève même en partie de sa défaite ; on lui rend quelques honneurs. Il a cessé d’être terrible, il a pris le rôle discret de divinité domestique, de génie tutélaire, ἀγαθοδαίμων (agathodaimôn). Il est plein de sagesse, il connaît les remèdes qui sauvent ; il est le gardien des temples et rend des oracles ; sa fuite de l’Érechtèum annonce aux Athéniens l’arrivée des Perses. Cher à Esculape, il l’est aussi à Pallas, dont il sert les vengeances, témoin Laocoon. C’est un heureux présage quand il se glisse au milieu d’un sacrifice, s’enroule autour de l’autel, goûte aux libations sacrées et se retire, furtif et mystérieux comme un fantôme.

Nombre de personnages illustres se vantaient d’avoir eu pour père un serpent. On le croyait d’Alexandre, et Philippe affectait de s’en montrer fort honoré. Amphytrion n’a pas le mauvais goût de se plaindre de Jupiter. Auguste eut l’adresse de faire courir le même bruit sur son compte. Scipion l’Africain passait pour avoir été nourri par un serpent. Le culte du serpent vint peut-être à Rome de l’Étrurie ; en tout cas, il fut solennellement importé de la Grèce par ordre du sénat. Pendant une peste qui désolait l’Italie, une ambassade alla chercher à Épidaure le dieu Esculape, qui, métamorphosé en serpent, consentit à s’embarquer sur la flotte romaine, et, par sa présence, fit cesser le fléau. Bien après l’établissement du christianisme, ce culte se maintient encore dans la Grèce et l’empire