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Ceci n’était au reste qu’une question secondaire. À ce moment survint, sans que l’on devine pourquoi, une sorte de panique dans le monde officiel de la Grande-Bretagne. La situation politique extérieure n’avait pourtant rien de plus menaçant que les années précédentes. L’affaire des mariages espagnols n’était pas plus inquiétante que la question d’Orient en 1840; cependant sir John Burgoyne d’abord, ensuite lord Palmerston, éclairé par de nouveaux avis, enfin le duc de Wellington lui-même, émettent tour à tour et rendent publiques des appréciations sur la force défensive de leur pays dont l’orgueil britannique ne pouvait manquer de s’alarmer.

Les observations du général Burgoyne, présentées sous forme de note « sur les résultats probables d’une guerre avec la France, » n’avaient d’abord été communiquées qu’aux membres du cabinet. Là-dessus lord Palmerston, chef du foreign-office, illuminé peut-être d’une clarté subite, se mit à rédiger de son côté un rapport sur la défense de l’Angleterre. Ces deux pièces sont curieuses en vérité. Le commerce et la politique, disait Palmerston, rendent la France et l’Angleterre rivales sur tous les points du globe; de là des conflits incessans d’où la guerre peut surgir au premier jour. Nos voisins sont hospitaliers pour chacun de nous en particulier; mais ils n’ont pas oublié le passé : presque tous éprouvent un sentiment de haine profonde contre nous. Contre une telle nation, il faut en tout temps se tenir prêt à combattre à armes égales. Nous sommes loin de cette égalité de forces. En ce qui concerne la flotte, la France possède autant de vaisseaux armés que nous. Quant aux troupes de l’armée de terre, déduction faite de ce qu’exigent ses possessions algériennes, elle compte encore plus de deux cent mille hommes, dont moitié seraient prêts à s’embarquer à quinze jours de délai pour nous envahir. La France a des magasins bien pourvus; ses frontières, tant maritimes que terrestres, sont couvertes par des places fortifiées. Paris est à l’abri d’un coup de main grâce à ses fortifications; des chemins de fer, construits avec l’aide des capitaux anglais, fournissent des facilités nouvelles pour le transport des hommes et des approvisionnemens. Que nos voisins menacent nos colonies des Indes occidentales au début de la guerre, notre flotte les y suivra à la hâte. Par un brusque retour, ils peuvent se trouver maîtres de la Manche pendant une semaine ou deux. C’est alors cent mille hommes avec des chevaux et de l’artillerie qui débarqueront à l’improviste sur notre littoral.

En vérité, les auteurs de la Bataille de Dorking et d’autres pamphlets ingénieux que vit éclore l’année 1871 n’ont rien inventé. Palmerston avait tout dit vingt-cinq ans avant eux. A ne supposer qu’une armée de débarquement de 30,000 à 40,000 Français, continue-t-il encore, qui les empêchera de marcher sur Londres sans