Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 14.djvu/685

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus plaisante la comédie de la paternité, et lui révèle le véritable état des choses, bien sûr que l’enfant prendra M. Caverlet en haine et n’aura de cesse qu’il ne lui ait ramené sa mère. Donnons tous nos éloges à ce personnage d’Olivier Merson, qui est la réelle nouveauté du drame, type vrai, bien observé et rendu en toute perfection. C’est un véritable mari de boulevard parisien que ce mari bambocheur, coureur de drôlesses, hanteur de tripots, soupeur du restaurant Bignon, gai, bon enfant et amusant, un gredin qui n’excède pas la mesure d’un polisson. Le type, dis-je, est vrai, et il est tout à fait de notre temps et de notre pays. Parmi nous en effet, soit parce que notre nature est moins riche de tempérament, soit parce qu’elle est moins près de la barbarie primitive, ou qu’elle se sauve de ses propres excès par sa légèreté même, il est fort rare que nos vauriens arrivent jusqu’à la scélératesse. Que voulez-vous ? chaque peuple a son caractère comme ses mœurs. Un vaurien italien arrive bien vite jusqu’au ruffiano, et vous savez tout ce que la langue italienne exprime par ce mot de scélératesse tortueuse, d’hypocrisie criminelle et de cynisme. Un vaurien allemand ou anglais va bravement jusqu’au point où il devient un parfait bandit fait pour Tyburn et Botany-Bay. Un vaurien français, au contraire, est les trois quarts du temps un simple grotesque, un personnage facétieux, prêtant à rire et ayant le goût de faire rire, sans dignité plutôt encore qu’indigne, oublieux de tout devoir plutôt qu’en révolte contre le devoir, et qui, s’il va aux extrémités, se dirige plus volontiers vers la police correctionnelle que vers la cour d’assises.

Cette révélation d’Olivier Merson produit le résultat qu’on devait en attendre : elle amène une scène d’explications entre le jeune homme et Caverlet, très vive d’abord, mais qui tombe bientôt comme un feu de paille et s’éteint faute d’alimens. La première explosion passée, l’indignation du jeune homme ne peut tenir. Que peut-il en effet reprocher à Caverlet ? D’avoir réparé les fautes de son père et d’avoir été le protecteur dévoué de sa mère. Comme ces reproches porteraient à faux, il prend bien vite le parti de s’arrêter, et la scène, qui s’annonçait comme devant être cruelle et déchirante, tourne court et fait long feu. Nous avons rendu suffisamment ample justice aux excellentes parties de la comédie d’Emile Augier pour qu’il nous soit permis de signaler maintenant son défaut capital, et ce défaut, c’est qu’il n’y a pas de drame dans sa pièce. Madame Caverlet a quatre actes et pourrait facilement se réduire à moins de trois. Le sujet, qui conviendrait mieux pour une nouvelle de courte étendue que pour le théâtre, est d’une simplicité trop grande et s’est montré sans fécondité. Il n’y a pas là cette succession de péripéties s’engendrant les unes les autres, et poussant progressivement de leurs, forces accumulées vers le dénoûment dont un drame doit se composer ; il n’y a du commencement à la fin qu’une seule situation autour