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les torts, sans elle il n’y aurait que des amours chastes, des mariages bénis, des familles heureuses, des hommes de génie sortant triomphans des épreuves de la vie. Pendant un temps, cette épidémie de vengeance s’est abattue sur les courtisanes, avec quelle violence et quelle persistance, vous ne l’avez sans doute pas oublié ; puis ce fut le tour des femmes adultères, ou, pour être exact, des femmes en général. Comme cet avisé magistrat italien qui demandait à propos de chaque cause ove era la femina, ou comme les docteurs de ce vieux concile qui avaient de la femme une si médiocre opinion qu’ils n’osaient prononcer qu’elle eût une âme, nos dramaturges se sont obstinés pendant des années à la présenter comme la source et la cause de tous les désordres sociaux. Que de colères contre ces âmes frivoles et perverses qui n’ont de loi que leurs passions et qui n’hésitent pas à leur sacrifier les devoirs les plus sacrés, que d’attendrissement pour l’infortuné mari geignant auprès de son foyer en compagnie d’enfans sans mère ! Mais le poète latin l’a dit depuis longtemps, si la justice marche à pas boiteux, elle arrive toujours sûrement. Nos dramaturges se sont enfin aperçus que les torts n’étaient peut-être pas tous du côté d’un seul sexe, et qu’il existait des maris fort pervers et des pères fort indignes. Il ne nous reste plus maintenant qu’à les engager à sévir pendant une ou deux saisons contre les célibataires ; alors nous serons au complet, et le théâtre ayant épuisé les séries de ses vengeances pourra s’arrêter enfin à cette conclusion consolante qui aurait dû lui servir de point de départ : les deux sexes se valent, et aussi les diverses classes sociales ; il n’y a pas de genres et d’espèces coupables dans l’humanité, il n’y a que des individus pervers.

On dirait vraiment que M. Emile Augier et M. Alexandre Dumas se sont donné le mot avant de commencer leurs drames, tant leurs deux personnages d’Olivier Merson et du duc de Septmonts offrent d’étroites ressemblances. Ce sont deux Bobèches, l’un du monde de plaisir parisien, l’autre du monde titré, et à peu près aussi indignes l’un que l’autre, en dépit des nuances qui les séparent. Les conclusions des deux auteurs sont aussi fort analogues, mais il y a une très grande différence dans la manière dont elles sont présentées, et dans cette différence le tempérament dramatique de M. Dumas se révèle tout entier. Tandis qu’Emile Augier se contente de punir son mari Bobèche par le mépris, en silence et presqu’à huis, clos, Dumas sacrifie le sien, toutes portes ouvertes, avec une rage de férocité qui est, je crois, sans exemple au théâtre. Jamais ennemi personnel ne fut poursuivi dans la vie réelle avec ce degré de haine ; comme s’il eût craint que l’exécution ne fût pas assez complète, il s’est assuré pour ainsi dire le concours de tous les personnages de la pièce : pas un défenseur dans tous ceux qui approchent son duc de Septmonts, pas un essai de plaidoyer en sa