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gouvernement prussien à entrer en négociation avec l’empire allemand pour lui vendre ses chemins de fer d’état et pour lui céder ses droits sur les lignes administrées et exploitées par des compagnies particulières. Si la loi est votée, le prince de Bismarck, président du ministère prussien, sera autorisé à négocier cette importante affaire avec le prince de Bismarck, chancelier de l’empire germanique. Ce n’est pas la première fois que la Prusse prend l’initiative des sacrifices et du désintéressement. Elle se dépouille au profit de l’empire, elle immole son particularisme sur les autels de la commune patrie, et, quoiqu’il n’en soit rien dit dans l’exposé des motifs, prêchant d’exemple, elle se croit en droit d’espérer que tout le monde s’exécutera comme elle. Les Saxons et les Allemands du sud n’ont pour son désintéressement qu’une médiocre admiration, ils estiment que son sacrifice est plus apparent que réel. Ils ont pu apprendre, par un rapport qui a été lu dans la seconde chambre saxonne, que le rendement des chemins de fer prussiens a diminué d’année en année, qu’ils ne donnent pas en moyenne le 4 pour 100, qu’au surplus le gouvernement s’est vu obligé de racheter à des compagnies privées plusieurs lignes en souffrance, qu’il a stipulé en faveur de quelques autres des garanties d’intérêt, qu’enfin il ne peut différer plus longtemps de construire dans les provinces de l’est des chemins coûteux, qui ne rapporteront rien. Il ne serait pas fâché, dit-on, de se débarrasser sur l’Allemagne d’obligations onéreuses pour ses finances ; ce n’est pas un cadeau qu’il lui fait, c’est un paquet qu’il lui passe. Aussi bien, ajoute-t-on, que lui en coûte-t-il de céder à l’empire ses droits sur les chemins exploités par des compagnies concessionnaires ? Il n’y a là qu’un changement de nom et d’étiquette. La Prusse est la puissance dirigeante de l’empire, et ce qu’elle donne à l’empire, elle est sûre de ne pas le perdre. Dans un temps de détresse du trésor, un roi de France avait envoyé généreusement toute son argenterie à la Monnaie pour y être fondue, et il se vantait de son sacrifice à un gentilhomme, en l’exhortant à suivre son exemple. — Ah ! sire, lui répliqua le gentilhomme, quand Notre-Seigneur mourut le vendredi, il savait bien qu’il ressusciterait le dimanche.

Personne ne doute d’ailleurs que la mesure préliminaire proposée par M. de Bismarck n’eût un effet décisif. Si elle est adoptée, il est sûr d’arriver à ses fins ; ce premier pas fait, le reste ne sera plus qu’une affaire de temps. Du jour où le chancelier de l’empire aura réussi dans sa négociation avec le président du ministère prussien, il aura facilement raison de toutes les résistances que pourront lui opposer les ministres saxons, bavarois ou wurtembergeois. On est convaincu à Dresde « qu’une fois en possession d’un grand réseau qui couvrirait le nord de l’Allemagne et qui, poussant à l’est comme à l’ouest ses ramifications vers le sud, envelopperait dans ses mailles la Saxe, la Thuringe et les états méridionaux, il ne tiendrait qu’à l’office impérial des chemins de