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de votre fait, nous le sommes moins que vous. Nous ne contestons point les mérites de la bureaucratie prussienne, nous doutons seulement qu’elle fasse aussi bon marché que vous le dites des intérêts du trésor, et son esprit fiscal nous est connu. La Prusse exploite fort bien ses chemins d’état ; exploitera-t-elle aussi bien ceux de toute l’Allemagne ? Les difficultés d’une bonne administration croissent en raison géométrique avec l’étendue du réseau. Au surplus, nous ne voyons pas que ses chemins d’état soient plus économiques que les autres ; telle compagnie privée se tire d’affaire à meilleur compte. L’empire simplifiera les tarifs, il lui sera fort difficile de les abaisser. Que s’il veut réaliser à tout prix l’idéal des chemins de fer à bon marché, il ne pourra couvrir les déficits de sa caisse qu’en se procurant d’autres ressources, en établissant de nouveaux impôts, en augmentant les contributions matriculaires que lui paient les états. L’expérience à laquelle vous nous conviez profitera peut-être aux commerçans, nous craignons que les contribuables n’en fassent les frais. Ce serait miracle qu’il en fût autrement, et nous ne croyons plus aux miracles, nous avons perdu la foi du centenier[1].

En proposant le rachat, M. de Bismarck pouvait compter sur la chaude adhésion du parti militaire, pour qui les voies ferrées ne sont que l’outillage de la guerre et qui estime que l’outil sera parfait quand l’autorité impériale l’aura façonné à sa mode. Les hommes de guerre allemands ont beaucoup médité sur le rôle considérable qu’ont joué les railways dans les événemens de 1870. — C’est grâce aux chemins de fer, disent-ils, que le maréchal de Mac-Mahon a pu sauver les débris de son armée battue à Wœrth ; c’est encore grâce aux chemins de fer qu’à la dernière heure le corps du maréchal Canrobert a pu prendre part aux combats décisifs qui se sont livrés devant Metz, et d’autre part la destruction de la ligne de Frouard à Metz a obligé ce corps à laisser en arrière une partie de son effectif et la plus grande partie de son artillerie, circonstance qui a peut-être décidé de l’issue de la bataille du 18 août. Les chemins de fer ont permis aux Français d’approvisionner leur capitale et de prolonger leur résistance pendant plus de quatre mois, et c’est des chemins de fer que les grandes armées assiégeantes, condamnées à une longue immobilité, ont tiré leur subsistance. Le rétablissement de la ligne d’Amiens à Rouen a mis l’armée allemande qui cernait Paris au nord en état de se maintenir contre des forces supérieures, et c’est le chemin de fer de Metz à Paris qui a amené les troupes dont la résistance a fait échouer l’essai de sortie du général Ducrot. Enfin c’est le mauvais fonctionnement des voies ferrées de l’est

  1. Les objections qui peuvent être faites au rachat des chemins de fer ont été résumées par M. von Unruh dans une suite d’excellen3 articles publiés par la Gegenwart, revue hebdomadaire de Berlin, du 29 janvier au 26 février 1876. M. von Unruh est un national-libéral, membre du Reichstag et du Landtag, ingénieur et économiste distingué.