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les soins de celui-ci que l’armée se recrute, qu’elle est payée, nourrie, habillée, équipée. Cette dualité ne s’effacera pas sans doute de sitôt, car elle tient à l’essence même du gouvernement britannique. L’armée ne cesse pas en définitive d’être l’armée du souverain, en dépit du régime parlementaire. Sur ses vieux jours, Wellington recommandait à la reine Victoria de veiller à ce que les liens d’affection et de dévoûment entre elle et ses soldats ne fussent jamais relâchés. La reine, fidèle à cette recommandation du sujet le plus loyal qu’elle ait jamais eu, a pris soin de conférer le commandement en chef à son propre cousin, le duc de Cambridge, qui ne manque pas d’ailleurs d’expérience puisqu’il était divisionnaire en Crimée ; mais le peuple anglais est trop jaloux de ses libertés pour admettre que le plus gros chapitre du budget des dépenses soit soustrait au contrôle des mandataires du pays. Aussi l’administration des horse-guards (comme on appelle les bureaux du commandant en chef) a-t-elle plus d’honneurs que de pouvoirs. Il ne lui appartient même pas de déplacer les troupes ou de leur assigner des villes de garnison.

Quant aux bureaux du ministère de la guerre, on y retrouverait, sous une forme peu différente, chacune des grandes subdivisions administratives usitées chez nous. Le ministre n’est pas militaire, non plus que le sous-secrétaire d’état parlementaire qui l’assiste dans les discussions devant les chambres. Un second sous-secrétaire d’état, qualifié de permanent, est étranger à la politique ; il a pour mission de conserver les traditions bureaucratiques que de trop fréquentes modifications ministérielles pourraient faire disparaître. Au-dessous de ces trois personnages, qui ont la haute main sur tout, mentionnons seulement le surveyor-general, chargé des approvisionnemens de tout ordre, le secrétaire financier, le directeur de l’artillerie, l’inspecteur-général des fortifications, le directeur-général du service médical. À ces divers services spéciaux, dépendant du ministère, s’en est adjoint récemment un nouveau non moins important, l’état-major général (intelligence department), qui dirige les mouvemens des troupes et prépare les ordres de mobilisation. On le voit, le ministère empiète de plus en plus sur les attributions des horse-guards[1].

Depuis un temps immémorial, l’armée anglaise s’est toujours recrutée par enrôlemens volontaires. Dans le principe, le roi se contentait

  1. La chambre des communes ne se contente pas de discuter le budget annuel de la guerre : elle se réserve en outre de voter chaque année le mutiny bill, en vertu duquel les déserteurs sont punis. Faute de renouveler cette loi en temps utile, elle enlèverait au commandant en chef le pouvoir de conserver les soldats sous les drapeaux. La précaution n’est-elle pas superflue ?