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encore incertains et inexpérimentés, la plupart répugnent par instinct à des campagnes aventureuses dont on ne leur dit pas le secret. À tout cela que manque-t-il donc ? Il manque à ces chambres et à la majorité qu’elles représentent, au gouvernement appelé à tout concilier, à ces partis qui cherchent leur voie, d’entrer plus résolument et plus pratiquement dans leur rôle. Ils ont besoin de presser un peu la marche, de franchir les préliminaires embarrassés d’une époque nouvelle, d’en finir avec toutes ces vérifications de pouvoirs où l’on se perd, avec les propositions inutiles et les motions agitatrices, avec ce qui ne sert à rien comme avec ce qui pourrait tout compromettre.

C’est là aujourd’hui la situation. En vérité, on perd du temps à Versailles, on s’abandonne un peu trop à ce sentiment de complaisance que les majorités ont souvent pour elles-mêmes, et au lieu de se hâter de mettre en pleine activité un régime qui est à peine en marche, on le ralentit par toute sorte de diversions inutiles ou dangereuses.

La diversion inutile, même quelquefois assez puérile, c’est cette vérification de pouvoirs qui devrait être déjà expédiée et que la chambre des députés prolonge indéfiniment, au risque de se fatiguer elle-même en fatiguant pour sûr le public. Le sénat a procédé plus lestement ; il ne s’est pas trop arrêté à des incidens plus ou moins étranges, à des détails plus ou moins vifs qui disparaissent dans le tourbillon de la lutte électorale. Depuis trois semaines, la chambre des députés, quant à elle, se livre, avec un mélange de rigorisme consciencieux et de partialité presque naïve, à une perquisition acharnée et minutieuse sur les derniers scrutins. Elle a fait son lot d’élections contestées et réservées ; maintenant elle invalide ou ordonne des enquêtes, et si ce système est suivi jusqu’au bout, il y aura un peu partout, du nord au midi, des élections cassées ou ajournées jusqu’à plus ample information parlementaire. La majorité républicaine de la chambre des députés croit sans doute exercer un droit et obéir à un sentiment de justice supérieure ; elle ne voit pas que, si les invalidations et les enquêtes sont une garantie extrême pour les assemblées, elles ne doivent pas devenir une arme de parti et paraître servir à frapper des adversaires. La majorité ne s’aperçoit pas en outre que, par la manière dont elle procède aujourd’hui, elle glisse à chaque instant dans l’arbitraire le plus complet. Pourquoi en effet annuler certaines élections plutôt que d’autres qui se sont accomplies dans des conditions identiques ? Pourquoi y a-t-il une enquête dans un arrondissement et non dans d’autres arrondissemens où les mêmes faits se sont produits ? Qu’on se montre rigoureux là où l’on trouve des falsifications évidentes du scrutin, des atteintes constatées à la liberté électorale, des violences, des actes de corruption et de vénalité, rien de mieux. En dehors de cela, est-ce qu’il suffit, pour faire le procès d’une élection, de ramasser tous les commérages qui ont couru dans une circonscription, tous les faux bruits, les vivacités ou les ini-