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chrétiens, et rien n’était plus aisé que de s’en servir contre eux.

La loi de majesté était d’un usage plus commode encore pour les ennemis du christianisme. Par sa formule vague et générale, elle pouvait se prêter à tout, et l’on sait l’usage terrible que les mauvais empereurs en ont fait. On entendait par crime de majesté, ou de lèse majesté, comme nous disons aujourd’hui, « tout attentat commis contre la sécurité du peuple romain. » A la rigueur, on pouvait prétendre que les chrétiens en étaient coupables, car l’introduction d’une religion nouvelle jette toujours quelque trouble dans un état. Avec l’empire, ces accusations étaient devenues plus communes : le peuple romain s’était personnifié dans un homme qui croyait toujours qu’on voulait attenter à sa sûreté. Cet homme, qui se savait haï, devenait aisément soupçonneux. La subtilité des délateurs, qui trouvaient partout des complots, et la complaisance des juges, qui ne refusaient jamais de les punir, entretenaient ces soupçons. Personne n’y échappait, et les chrétiens eux-mêmes, malgré l’innocence de leur vie et leur éloignement des dignités politiques, finirent par en être victimes. Ils étaient ordinairement graves, réservés, sérieux ; on les accusait d’être tristes, et leur tristesse passait pour un outrage à « la félicité du siècle. » Convenait-il de paraître mécontent quand le sénat proclamait dans des décrets solennels que jamais le monde n’avait eu tant de raisons d’être heureux ! Ils semblaient ne vouloir prendre aucune part aux réjouissances publiques ; quand la nouvelle d’une victoire arrivait à Rome, on ne les voyait pas, comme tout le monde, orner leurs portes de festons et y allumer des flambeaux. Ils ne sacrifiaient pas à la déesse Salut lorsque l’empereur tombait malade ou qu’il était guéri. Ils fuyaient les cirques, les théâtres, les arènes, lorsqu’on y célébrait des jeux solennels pour fêter l’anniversaire de la naissance du prince ou de son avènement au pouvoir. C’était bien assez pour devenir suspects dans un temps où on l’était si vite. Ce qui confirmait les soupçons, c’est qu’ils ne voulaient pas reconnaître la divinité de l’empereur. « Je ne l’appelle pas un dieu, disait un de leurs apologistes, parce que je ne sais pas mentir, et que je ne veux pas me moquer de lui. » Le proconsul qui les faisait comparaître devant lui avait toujours dans son prétoire quelque statue du prince. C’est en présence de cette image qu’on traînait le chrétien ; on lui demandait de témoigner son obéissance aux lois en brûlant un peu d’encens en l’honneur de César, et d’ordinaire on ne pouvait pas l’obtenir. Ce refus, auquel un païen ne comprenait rien, les faisait passer pour de mauvais citoyens, des sujets indociles, et l’on croyait pouvoir sans scrupule tourner contre eux les prescriptions rigoureuses de la loi de majesté.

Parmi ces prescriptions, il en était qui semblaient s’appliquer