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tout à fait aux chrétiens ; l’une d’elles interdisait formellement « de tenir aucune réunion ou assemblée qui poussât les hommes à la sédition. » C’était une défense que certains empereurs, les plus honnêtes d’ordinaire et les plus vigilans, faisaient observer avec une grande sévérité. Trajan était si ennemi du droit de réunion, il redoutait tant les désordres qui en sont la suite naturelle, qu’il ne voulut jamais : permettre qu’on formât à Nicomédie une association d’ouvriers pour éteindre les incendies. Les assemblées des chrétiens se tenaient ordinairement dans des maisons pauvres, et souvent la nuit ; ils en écartaient avec soin les indiscrets et les curieux, ils y réunissaient en grand nombre des ouvriers et des esclaves : toutes ces circonstances devaient paraître suspectes à des princes amis de l’ordre et éveiller l’attention des magistrats. La loi de majesté punissait aussi « ceux qui tentaient de gagner les soldats et de causer parmi eux quelque émotion. » C’était encore un crime que la malveillance pouvait reprocher aux chrétiens. La religion nouvelle paraît s’être répandue assez vite dans l’armée. Les soldats, comme le petit peuple, étaient dévots, et fort adonnés surtout aux superstitions de l’Orient. Beaucoup d’entre eux se laissèrent entraîner facilement au christianisme. Ces conquêtes, dont il était fier, lui causèrent dans la suite beaucoup d’embarras et de dangers. Les empereurs ne pouvaient pas lui pardonner de venir séduire leur armée, d’affaiblir dans le cœur de leurs soldats le sentiment de la discipline, qui reposait sur la religion, et de troubler leur courage en suscitant dans leur conscience des doutes sur la légitimité de la guerre.

C’était une affaire grave pour la nouvelle religion que de tomber sous le coup de la loi de majesté. Aucune n’était exécutée avec autant de rigueur, aucune ne donnait lieu à des poursuites aussi sévères et à des peines aussi terribles, Il n’y avait pas de privilège qu’on pût invoquer contre elle, les droits du sang et de la naissance, que les Romains observaient si scrupuleusement, étaient suspendus dès qu’il s’agissait d’une accusation de majesté. Tout personnage soupçonné de ce crime pouvait être mis à la torture ; on y soumettait les hommes libres comme les esclaves, les grands seigneurs comme les pauvres gens. Toutes les délations étaient acceptées avec empressement, tous les témoignages étaient bons pour perdre l’accusé. En dehors des accusateurs ordinaires, on écoutait avec complaisance les rapports du soldat, « car il veille sur la paix publique, » et il a plus d’intérêt que les autres à la défendre ; on ne rebutait pas même ceux de l’homme mal famé qui avait été flétri par un jugement ; ni ceux de l’esclave, auquel on laissait le droit terrible d’accuser son maître ».Tertullien nous dit précisément que les soldats et les esclaves ont été avec les Juifs les accusateurs ordinaires des chrétiens,