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trahis par leurs amis, abandonnés et reniés par leurs proches, étaient recherchés dans leurs maisons, chassés des édifices publics, insultés et massacrés dans les rues, et des cris s’élevaient de tous les côtés vers l’empereur pour le supplier d’en délivrer l’humanité.

Telles étaient les dispositions de la société romaine à l’égard des chrétiens. Ils rencontraient en face d’eux une autorité attachée aux traditions, défiante des nouveautés, jalouse de ses droits et armée de lois terribles pour les défendre, un grand monde indifférent, dédaigneux, ennemi des changemens, ouvert à tous les préjugés, une populace égarée, furieuse, portée à les croire capables de tous les crimes, prête à leur reprocher tous ses malheurs : c’est plus qu’il ne faut pour comprendre qu’on les ait traités sans pitié, et que la persécution, qu’un hasard avait déchaînée, ait duré près de trois siècles.


III

Rien n’est donc plus facile que de se rendre compte des raisons générales qui ont rendu les persécutions si longues et si cruelles ; il est bien moins aisé de connaître l’histoire de chacune d’elles, d’en savoir les causes ou la durée, d’en apprécier les conséquences. Dès qu’on veut entrer dans ces détails, les difficultés naissent à tous les pas. Les historiens s’accordent à dire qu’après Néron l’église fut laissée en repos jusqu’aux dernières années de Domitien. Alors commença une persécution nouvelle, qui semble avoir été amenée par des motifs politiques. Ce « règne de Dieu, » dont les chrétiens annonçaient l’arrivée prochaine, que saluaient d’avance les poètes sibyllins et les faiseurs d’apocalypses, causa sans doute quelques inquiétudes à un prince soupçonneux. Les païens s’y trompaient quelquefois, et saint Justin fut obligé de leur expliquer qu’il s’agissait non de la terre, mais du ciel, et que la venue du Christ ne faisait courir aucun danger à l’autorité des césars. Domitien avait d’autant plus vite pris l’alarme que la nouvelle religion s’était, dit-on, glissée jusque dans son palais et qu’il pouvait redouter qu’elle ne lui suscitât quelque rival parmi ses plus proches parens. D’ailleurs il affectait d’être un justicier sévère et d’exercer la police religieuse de Rome comme on le faisait du temps de Caton. On raconte qu’il chercha l’occasion d’enterrer vive une vestale pour avoir l’air d’appliquer dans toute leur rigueur les vieilles lois de la république. La protection de la religion nationale et la poursuite des cultes étrangers étaient aussi des traditions antiques qu’il voulait se donner la gloire de respecter. Toutes ces raisons devaient l’amener à persécuter les chrétiens.