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des chrétiens dans ses Pensées, qu’ils ne lui inspirent pas de sympathie. Un stoïcien aurait du au moins comprendre et respecter leur détachement de la vie et cette fermeté héroïque qui ne se démentait pas dans les plus terribles supplices. Il parle d’eux sans estime et trouve que « leur courage n’est point exempt d’ostentation et de parade. » C’est ce qui explique que, malgré son humanité naturelle, il n’ait éprouvé aucun scrupule à leur laisser appliquer la loi dans sa rigueur.

Ce qui est sûr, ce qu’on ne peut nier, c’est que sous son règne, comme sous celui de Trajan, les chrétiens furent persécutés ; la lettre de Pline et celle de l’église de Lyon le prouvent. Et remarquons que les faits que ces lettres rapportent ne sont pas donnés comme des événemens exceptionnels ; rien n’indique qu’en cette occasion les chrétiens aient été victimes d’un hasard malheureux et rare. Tout y démontre au contraire que c’était leur sort dans tout l’empire. Soyons assurés que ces drames qui se sont passés alors dans la Bithynie et dans la Gaule ont du se reproduire souvent ailleurs. Il n’est donc pas d’une bonne critique de dire avec M. Aubé : « La troisième persécution, comme on l’appelle, fort grossie par la tradition, se réduit en somme à quelques condamnations prononcées par Pline le Jeune. » Qu’en savons-nous, et de quel droit pouvons-nous affirmer qu’il n’y ait eu d’autres victimes que celles que nous connaissons ? La lettre de Pline est, à la vérité, le seul document qui nous conserve aujourd’hui le souvenir de ces supplices ; mais ce document en suppose beaucoup d’autres, Il serait vraiment étrange de prétendre que, de tous les gouverneurs de province, celui-là, seul ait eu l’occasion de frapper les chrétiens que sa nature éloignait le plus de ces exécutions sanglantes. La nécessité qu’il a subie a du s’imposer à beaucoup d’autres, et les autres l’ont sans doute acceptée avec moins d’hésitations et de scrupules que lui.

La seule raison spécieuse qu’allèguent M. Aubé et tous ceux qui veulent, sinon nier l’existence, au moins diminuer l’intensité de ces premières persécutions, c’est que les auteurs profanes n’en ont pas parlé ; mais cette raison ne touchera guère ceux qui savent de quelle façon et dans quels ouvrages nous est parvenue l’histoire du IIe et du IIIe siècle. Par une fatalité déplorable, depuis Tacite jusqu’à Ammien-Marcellin, nous n’avons aucun historien digne de ce nom. Tout s’est perdu sans retour dans ce grand naufrage qui a emporté l’empire, et nous sommes réduits à chercher quelques renseignemens douteux dans de misérables chroniques ou des recueils d’anecdotes. Quelle confiance peut nous inspirer un Xiphilin, abréviateur maladroit de l’ennuyeux Dion-Cassius ? Quel cas devons-nous faire des compilateurs médiocres qui ont rédigé l’Histoire Auguste ? Ils sont pleins surtout de lacunes inexplicables, et si