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honorer les dieux et obéir aux lois de la cité : ces deux conditions étaient aussi nécessaires l’une que l’autre. Il ne venait à la pensée de personne qu’on pût continuer à faire partie d’un état, si l’on cessait d’en pratiquer le culte. Aussi les philosophes grecs, dont l’esprit est si entreprenant, si ouvert, qui remuent tant d’idées, qui semblent si souvent prévoir les problèmes de l’avenir, n’ont jamais paru préoccupés de cette grave question de la tolérance. Les plus hardis ne l’ont pas même soulevée, et ceux qui l’ont entrevue n’hésitent pas à la résoudre dans le sens de la loi civile et des sentimens populaires. Platon défend que personne ait chez soi une chapelle à son usage, tant il craint qu’on ne s’écarte des pratiques religieuses de la cité ! Il ne veut pas que, dans sa république, quelqu’un se permette de ne pas croire aux dieux ou d’en parler légèrement. Les impies sont divisés en deux classes : ceux qui ne se laissent entraîner à des opinions coupables que par défaut de jugement, et qui ne peuvent être ramenés et convertis, sont enfermés dans une prison assez douce qu’on appelle le sopkronistère, c’est-à-dire la maison où l’on devient sage. Ils y restent cinq ans, séquestrés du monde, et ne recevant la visite que de sages personnes « qui les viennent entretenir pour leur instruction et le bien de leur âme. » S’ils se laissent toucher à ces exhortations et à ces réprimandes, on les rend à la liberté. S’ils persistent ou s’ils récidivent, ils sont punis de mort. Ceux qui non-seulement ne croient pas aux dieux, mais empêchent les autres d’y croire, les violens, les emportés, les habiles qui troublent les âmes simples avec leurs raisonnemens captieux, sont encore plus durement traités : on les enferme dans un cachot d’où ils ne sortiront jamais, et, après leur mort, leur cadavre est jeté sans sépulture hors du territoire de la patrie ; voilà presqu’un avant-goût de l’inquisition.

Avec le christianisme, tout change. Ce n’était pas la religion d’un peuple ou d’un pays ; il appelait à lui toutes les nations, il voulait s’étendre sur le monde entier. Les chrétiens n’ont pas de ville sainte, comme les Juifs, ni de temple préféré. Ils proclament que Dieu écoute tous les hommes, que tous les lieux sont bons pour l’implorer, qu’il se trouve toujours avec ceux qui le prient en esprit et en vérité. Il ne leur était possible de faire des prosélytes chez tous les peuples à la fois qu’à la condition de ne se lier à aucun d’eux en particulier. Pour pouvoir être à tous, une religion doit n’appartenir en propre à personne ; pour convenir à des états divers, il est bon qu’elle commence par se séparer partout de l’état. C’est ainsi que le christianisme prit tout de suite à Rome une attitude différente des autres cultes étrangers. Ces cultes essayaient de bien vivre avec la religion romaine, ils exagéraient les ressemblances qu’ils avaient avec elle pour qu’on pût les confondre ensemble, ils demandaient