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concerne l’histoire des premières persécutions de l’église. On voudrait savoir par exemple si elles ont fait couler beaucoup de sang. C’est un point sur lequel les contemporains eux-mêmes n’étaient pas d’accord. Origène prétend « que le nombre des victimes ne fut pas considérable et qu’il est aisé de les compter ; » saint Cyprien parle au contraire « du peuple innombrable des martyrs. » Entre ces deux affirmations opposées, chacun se décide d’après ses opinions. Ce qui est sûr, c’est que les progrès du christianisme ne furent jamais arrêtés. A chaque persécution nouvelle l’énergique résistance des chrétiens, après avoir d’abord excité les bourreaux, finissait par les lasser. Au bout de quelque temps les rigueurs, qu’on savait inutiles, devenaient plus rares, et d’elle-même, par fatigue et par impuissance, la persécution s’arrêtait. On voyait alors les fugitifs revenir de leurs solitudes ; ceux qui s’étaient cachés par prudence osaient peu à peu se montrer ; les renégats sollicitaient leur pardon et rentraient humblement dans l’église ; des conquêtes nouvelles prenaient la place des morts glorieux qu’on avait perdus. C’est ainsi qu’après chacune de ces tempêtes la communauté chrétienne se retrouvait plus nombreuse, plus ferme, plus fière du passé, plus confiante en l’avenir, plus attachée à des croyances pour lesquelles elle avait souffert, plus assurée de l’inutilité de la force et du triomphe certain de la foi. Le résultat le plus clair de tous ces supplices était de rendre à chaque fois l’audace des chrétiens plus grande. C’est après les persécutions de Septime-Sévère qu’ils bâtirent leurs premières églises, et que leur doctrine, qui s’était cachée jusque-là dans des maisons particulières ou des oratoires secrets, osa s’exposer au grand jour. Les empereurs comprirent alors que, s’ils voulaient avoir raison d’une religion aussi opiniâtre, il leur fallait prendre d’autres mesures. Ces violences intermittentes et capricieuses, entreprises au hasard, conduites sans dessein, n’arrivaient à rien ; ils pensèrent qu’en prenant eux-mêmes la direction des poursuites, en y mettant plus de régularité et d’ordre, elles auraient plus de succès. Ils résolurent d’y apporter cet esprit administratif et méthodique qui avait inspiré dans d’autres temps les proscriptions de Sylla et d’Octave. Le nouveau système mis en pratique par Dèce dura jusqu’à Dioclétien : il fut beaucoup plus cruel que l’autre, sans être plus efficace, et n’empêcha pas le triomphe définitif de l’église avec Constantin.


GASTON BOISSIER.