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Catherine II avait pour l’éducation de ses petits-fils des soins maternels[1], elle veillait à ce qu’ils fussent élevés sévèrement et chastement, elle les avait confiés à l’austère Laharpe, ce républicain vaudois qu’elle appelait en badinant « monsieur le jacobin. » Les courtisans s’appliquaient à étudier les bonnes intentions de l’impératrice et profitaient de toutes les défaillances de sa volonté. « Le grand-duc Alexandre, écrivait Rostopchine, on peut le dire hardiment, n’a pas son pareil dans le monde ; son âme est encore plus belle que son corps, jamais le moral et le physique n’ont été plus achevés dans un individu ; » mais cette cour est trop mal composée : « ce sont ou des sots, ou des polissons, ou des jeunes gens dont on ne peut rien dire. Le grand-duc Alexandre est ignorant au suprême degré pour ce qui regarde la connaissance des hommes et de la société ; il s’est familiarisé avec la bêtise, ayant été entouré de gens ineptes… Il entend dire tant de platitudes qu’il ne sera pas étonnant s’il succombe. » — « On lui a mis en tête que sa beauté lui assurera la conquête de toutes les femmes, et notre jeune prince se plaît à leur en conter. Vous pouvez bien penser qu’il trouvera assez de coquines qui lui feront oublier ses devoirs. » Sa jeune femme Elisabeth est en butte à la folle passion du comte Zoubof : ainsi le favori de la grand’mère osait courtiser la petite-fille ! Il y eut dans le palais plus d’une scène étrange, et l’impératrice fit au volage des yeux terribles. La grande-duchesse montra une dignité et un tact admirables, ayant l’air de ne rien voir et de ne rien entendre, décourageant la calomnie et l’intrigue. Certains la taxaient de fierté et d’arrogance : avec de tels défauts, on échappe à bien des faiblesses.

Le grand-duc Constantin était moins sympathique à Rostopchine. D’abord celui-ci crut découvrir en lui de précieuses qualités : « il est vif, sensible, militaire dans l’âme. » Trop militaire, malheureusement ! C’était chez lui moins un goût qu’une manie ; il reproduisait dans ce qu’il avait de moins heureux le type paternel. « Il commence, dira plus tard le comte Féodor, à donner des preuves de sa ressemblance avec son père. Il se laisse aller à la colère, n’obéit à personne et a le maintien d’un polisson. Il se pique de négliger sa parure, et porte souvent des habits retournés et des cravates sales de taffetas noir (1794). » — « Toutes ses inclinations le portent au mal, et il ne se repent plus de le faire. Il est rapporteur de l’impératrice, de son père et de M. Zoubof, calomnie sans distinction, dit des grossièretés à tout le monde, rosse ses gens et menace à chaque instant de demander vengeance. » — « Il découvre

  1. Voyez, dans la Revue du 1er mars 1874, l’étude sur l’Impératrice Catherine II dans sa famille.