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I

Cette politique, qui commençait par se créer à elle-même son instrument d’action, elle a été en effet l’œuvre originale,.je pourrais dire l’expression du génie d’un homme. Cavour ne l’avait point sans doute tirée de son imagination, il la recevait des circonstances. Il n’était point évidemment le seul à en avoir l’idée, d’autres en ont eu l’instinct ou le pressentiment ; mais c’est lui qui l’a coordonnée, qui l’a ramenée à des conditions pratiques, en la marquant du sceau de son esprit à la fois mesuré et hardi, en faisant une réalité de ce mot d’une génération vaincue et non désespérée : « nous recommencerons ! » Un des premiers, Cavour avait saisi les conséquences de cette vérité supérieure qu’il résumait un jour en disant : « Il est impossible au gouvernement d’avoir une politique nationale, italienne en face de l’étranger, sans être à l’intérieur libéral et réformateur, de même qu’il nous serait impossible d’être libéraux au-dedans sans être nationaux et Italiens dans nos rapports extérieurs. » Mieux que tout autre, il avait compris que, si le Piémont voulait s’attacher à ce programme dans la position difficile où il se trouvait après la défaite, sous le regard toujours défiant de l’Autriche, il avait à déployer dans un petit cadre les ressources d’énergie, de sagesse et d’activité d’un grand pays ; le Piémont avait à commencer par se relever lui-même, par se refaire en Europe comme en Italie une situation, un crédit à la hauteur de ses ambitions. De là toute une politique invariable dans sa direction, flexible et variée dans ses moyens, embrassant à la fois les finances, la réorganisation militaire, la diplomatie, les affaires religieuses.

Tout procède d’une même pensée dans cette œuvre qui se développe et se dégage par degrés sous une impulsion vigoureuse. Les affaires économiques et financières sont les premières auxquelles s’attaque l’activité de Cavour. Le Piémont, comme tous les vaincus, avait à payer ses revers. Il restait sous le poids de deux campagnes malheureuses qui du premier coup, avec l’indemnité autrichienne, lui coûtaient bien près de 300 millions. Sa dette, qui avant 1848 ne comptait que pour 5 millions de rente, s’élevait rapidement à plus de 30 millions. Le budget de ses dépenses, qui n’était que de 80 millions avant la guerre, passait à 178 millions en 1848, 216 millions en 1849, 189 millions en 1850, pour finir par se fixer entre 130 et 140 millions. Ainsi, même après les premiers momens, les dépenses restaient presque doublées, la dette avait sextuplé, et, toute proportion gardée, pour l’époque, — il y a de cela vingt-cinq ans, — pour un pays de moins de 5 millions d’âmes, aux ressources encore peu développées, ces chiffres représentent un fardeau presque