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aussi lourd que celui qui a été depuis supporté par la France dans des circonstances plus tragiques encore. Voilà la situation. Deux systèmes étaient possibles, et que de fois ils se sont trouvés en présence ! Ou pouvait procéder par une stricte et méticuleuse économie poursuivre un modeste équilibre en resserrant les dépenses, en limitant le déficit et en recourant pour le reste aux aggravations d’impôts les plus nécessaires ; mais alors il fallait renoncer à tout rôle extérieur, réduire l’armée, s’interdire ou tout au moins ajourner indéfiniment les travaux les plus utiles. C’était peut-être de la prudence d’une certaine façon, ce n’était pas de la prévoyance, puisqu’on avait toujours à imposer au pays des surcroîts de charges inévitables sans lui offrir aucune compensation, sans rien faire pour développer sa vitalité, pour l’aider à porter plus aisément le fardeau qu’on ne pouvait lui épargner. Cavour avait d’autres idées, et c’est lui qui a créé réellement le système financier de l’ordre nouveau, du Piémont constitutionnel, libéral ; c’est lui qui a fait ce que j’appellerai en prenant son langage, le budget « de l’action et du progrès. »

Le budget de Cavour était l’expression d’une politique, d’une situation l’œuvre d’un homme qui, en subissant la nécessité de demander au pays la rançon de ses malheurs, prétend faire de cette rançon forcée un moyen de réparation. Les impôts-nouveaux, dans tous les cas, ne pouvaient être évités sans doute : ils étaient une condition de solvabilité et de crédit pour le Piémont. Combiner la création de ces impôts nouveaux avec la réorganisation des anciens impôts inégalement répartis dans les provinces, c’était la première nécessité Cavour n’ignorait rien du problème qu’il avait à résoudre, et dès son entrée au pouvoir il s’était mis à l’œuvre sans hésiter, sans s’émouvoir de l’impopularité qui attend toujours le ministre réduit à faire crier le contribuable.

Et lui aussi il avait à se débattre avec les propositions de réformes radicales et les théories spécieuses, même avec l’impôt sur le revenu. Il écartait résolument les expériences inopportunes comme les utopies pour s’arrêter à ce qui lui semblait possible. Il mettait toute son habileté à disputer aux oppositions, à conquérir sur le patriotisme des chambres un certain nombre de taxes sur le personnel et le mobilier, sur les patentes, sur les successions, sur l’enregistrement. Avec cela, il pensait donner à son budget un lest nécessaire de 25 ou 30 millions ; mais ce n’était qu’une partie de ses combinaisons. Il sentait bien que, pour les desseins de sa politique, cela ne pouvait suffire. Il savait que, si le Piémont restait pauvre, les taxes seraient toujours trop lourdes, et que le meilleur moyen de vivifier le budget, les finances publiques, était de vivifier le pays par l’essor de l’industrie et du travail, par le déploiement des forces productives, par tout ce qui pouvait aider au