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congrès, qu’il n’était qu’un état de second ordre, un intrus dans les affaires européennes ; l’Autriche n’avait pas réussi. Ni la France, ni l’Angleterre, ni la Russie n’avaient consenti à une exclusion blessante. C’était le prix de la « conduite » du Piémont, c’était aussi une première victoire pour Cavour, qui entrait dans le congrès au même titre que les représentans des plus grandes puissances, et ce jour-là le plénipotentiaire autrichien, le comte de Buol, pouvait craindre, comme il le disait, « d’avoir du fil à retordre. »

La situation ne restait pas moins difficile pour un homme qui, entrant au congrès avec un titre à demi contesté, avait à faire entrer un jour ou l’autre avec lui un personnage plus contesté encore, l’Italie. C’est là que Cavour montrait réellement qu’il était de ceux qui grandissent avec les situations. Placé pour la première fois sur la scène la plus élevée de la politique européenne, mêlé aux affaires les plus considérables en arbitre de la guerre et de la paix, il se trouvait sans effort au niveau de tout. Maître de lui-même, courtois avec tout le monde, patient et fin, il s’effaçait volontiers dans les premières séances du congrès ; il parlait peu, et quand il avait à exprimer son opinion sur toutes ces questions qui s’agitaient, la liberté de la navigation du Danube, la neutralisation de la Mer-Noire, il se prononçait en peu de mots précis et nets, toujours pour la solution la plus libérale. Il ne tardait pas à étonner et à charmer ses collègues par la variété, la justesse et la profondeur d’un esprit que rien ne semblait prendre au dépourvu. Au milieu de cette réunion, où se rencontraient tant d’intérêts divers, des politiques la veille ennemies, d’autres politiques qui s’observaient et se jalousaient, Cavour n’avait pas de peine à démêler le jeu de tous ces courans contraires, à saisir les caractères, les affinités ou les antipathies, et il savait en profiter, ayant toujours soin de ne pas se séparer de la France et de l’Angleterre. Puisqu’on était sérieusement en marche vers la paix, il ne voyait aucune raison d’ajouter aux conditions imposées à la Russie des blessures d’orgueil ou de susceptibilité, et il se montrait d’autant plus facile de forme qu’il voyait l’Autriche plus tenace. Par un contraste singulier, l’Autriche, qui n’avait rien fait, qui n’avait pas du moins sacrifié un homme, restait cassante et raide vis-à-vis de la Russie ; le Piémont, qui avait bravement payé de sa personne, qui avait envoyé ses soldats au feu, gardait une modération parfaite dans la victoire commune des alliés. Cette différence d’attitude entre les représentans de l’Autriche et de la Sardaigne ne manquait pas de frapper les plénipotentiaires russes, et le comte Orlof en savait gré au comte de Cavour. Il y avait entre eux les meilleurs rapports. Le jour où il s’agissait de la neutralisation de la Mer-Noire, le comte Orlof se tournait vers