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le comte de Cavour et lui disait assez haut pour être entendu : « Le comte Buol parle comme si l’Autriche avait pris Sébastopol ! » Un autre jour, où le plénipotentiaire autrichien insistait au sujet d’une petite cession de territoire qu’un euphémisme diplomatique appelait une « rectification de frontières » du côté de la Bessarabie, le comte Orlof se prenait à dire d’un certain accent à Cavour : « Il ne sait pas, M. le plénipotentiaire d’Autriche, combien de larmes et de sang cette rectification de frontières coûtera à son pays ! » Et le Piémontais ne s’occupait sûrement pas d’adoucir le ressentiment du Russe contre l’Autrichien.

Avant qu’un mois fût écoulé, Cavour avait résolu le problème de faire sa position, de prendre une autorité réelle par la franchise et la bonne grâce de son caractère comme par la supériorité de son esprit, et pendant que le congrès poursuivait son œuvre sur l’Orient, sur la Mer-Noire, le hardi plénipotentiaire du roi Victor-Emmanuel ne perdait pas son temps. A côté des négociations officielles qui allaient être couronnées par le traité de paix du 30 mars 1856, il avait sa négociation à lui. Il multipliait les démarches et les entretiens. Il voyait l’empereur aux Tuileries, lord Clarendon, lord Cowley, les représentans de la Russie, il se ménageait des appuis, des concours ou tout au moins une tolérance bienveillante. Il cherchait un moyen d’introduire en plein congrès cette question italienne qui seule le passionnait, dont il brûlait de se faire le champion devant l’Europe. C’était là vraiment la difficulté !

De question italienne, il n’y en avait pas ; elle n’existait pas officiellement, elle ne pouvait pas se présenter sous une forme diplomatique précise et régulière. Le « principe des nationalités » n’avait pas son plénipotentiaire accrédité ; on ne pouvait pas parler de la domination étrangère : l’Autriche aurait eu trop beau jeu à écarter du premier coup des discussions où le congrès réuni pour s’occuper de la guerre d’Orient n’avait point à entrer. Oui, sans doute ; mais cette situation de l’Italie, toujours si difficile à saisir, avait un point vulnérable : elle était par le fait une violation permanente des traités sur lesquels la diplomatie elle-même avait l’habitude de fonder la paix de l’Europe. Une armée française occupait Rome, et la prolongation indéfinie de cette occupation ressemblait à un témoignage vivant de l’impuissance du gouvernement pontifical à se soutenir par lui-même. Les Autrichiens occupaient les légations depuis 1849 et ne semblaient nullement disposés à quitter Bologne. La domination autrichienne, régulière en Lombardie, s’étendait, par un abus des traités, aux duchés de Modène et de Parme, aussi bien qu’à la Toscane. Le roi de Naples ne pouvait se soutenir que par l’excès des compressions. De là un ensemble de choses violent,