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président sur tout ce qui concernait la royauté future et la candidature du prince. Ce représentant était le frère de son médecin et ami Stockmar, lequel était resté en Angleterre auprès de la duchesse de Kent et de la jeune princesse Victoria. Charles Stockmar, c’est le nom de ce diplomate secret, aborda le 26 mai 1829 au port d’Egine, où se trouvait alors le président. Il était porteur d’une lettre du prince Léopold pour le comte Capodistrias. Le 27, dans la matinée, il fut averti que l’audience aurait lieu à midi. Le voilà introduit et accrédité, le président a lu la lettre, c’est le moment de jouer serré ; dès les premiers mots de la conversation, Charles Stockmar a flairé chez le président des intentions très personnelles et des combinaisons très subtiles. « Je n’ai qu’une parole, dit le comte, après avoir lu attentivement la lettre du prince ; ce que j’ai promis, je le tiendrai. » Puis, comme s’il voulait semer dans l’esprit de Léopold un germe de doute et de découragement : « les plénipotentiaires, ajoute-t-il, ont été surpris lorsque j’ai prononcé le nom du prince ; ils croyaient apparemment que je présenterais un autre candidat. Ils m’ont demandé de leur faire cette déclaration par écrit, je m’y suis refusé. Je n’ai qu’une ambition, moi, c’est de donner à ce pays des institutions durables. » Une déclaration écrite aurait bien pu en effet lui causer plus tard de sérieux embarras, car si l’on veut connaître le sens exact de ces paroles ambiguës, il faut les traduire de cette manière : « Le prince Léopold, soit, pourvu qu’il arrive à point, et dans ce cas-là j’aurais bien mal manœuvré. Les puissances veulent une royauté de Grèce ; moi aussi, je la veux, mais pourquoi se presser ? Il y a tout profit à garder cette république où je suis indispensable et qui peut me donner un jour une couronne. » La suite de cette histoire a très clairement prouvé que telles étaient en 1829 les secrètes pensées du comte Capodistrias.

Charles Stockmar en a deviné quelque chose, et soudain rendant coup pour coup, c’est-à-dire essayant de décourager à son tour les ambitions du président, il insiste sur les chances de son maître : « Le prince, dit-il, s’est entretenu à Naples avec les plénipotentiaires des trois puissances. Tous ont applaudi à votre choix et se sont exprimés sur ce point de la façon la plus flatteuse pour le prince. Bref, il y a une parfaite entente chez les personnages qui doivent soumettre des propositions à leurs gouvernemens ; il est donc évident que l’heure décisive est proche. » Jusque-là tout va bien ; mais pourquoi l’envoyé du prince Léopold ajoute-t-il que son maître n’acceptera la couronne qu’à certaines conditions ? C’est fournir au rusé président le moyen d’embrouiller les choses et d’écarter cette candidature qui l’inquiète. Vraiment on ne saurait se