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avant le départ pour l’Orient, qui se plaisaient à le harceler encore en lui demandant ce qu’il avait gagné, il pouvait répondre avec une certaine tranquillité : « On n’est pas arrivé, il est vrai, à des résultats bien positifs ; mais on a gagné, je crois, deux choses : en premier lieu, la situation malheureuse et irrégulière de l’Italie a été dénoncée à l’Europe, non par des démagogues, par des révolutionnaires exaltés, des journalistes passionnés, mais par les représentans des premières puissances de l’Europe, par les hommes d’état qui gouvernent les plus grandes nations, habitués à consulter la raison bien plutôt qu’à suivre les mouvemens du cœur. En second lieu, ces mêmes puissances ont déclaré qu’il était de l’intérêt non-seulement de l’Italie, mais de l’Europe, d’apporter un remède aux maux de l’Italie. Je ne puis croire que les jugemens émis, que les conseils donnés par des puissances telles que la France et l’Angleterre, puissent demeurer longtemps stériles… Les vues qui nous ont guidés dans ces dernières années nous ont fait faire un grand pas. Pour la première fois dans le cours de notre histoire, la question italienne a été portée et discutée devant un congrès européen, non pas comme autrefois à Laybach et à Vérone, afin d’aggraver les maux de l’Italie et de lui river de nouvelles chaînes, mais dans l’intention hautement proclamée de chercher un remède à ses maux et de faire connaître la sympathie des grandes nations envers elle. Le congrès est fini, la cause de l’Italie est portée maintenant devant le tribunal de l’opinion publique. Le procès pourra être long, les péripéties seront peut-être nombreuses… Nous en attendons l’issue avec une entière confiance… » Ainsi il parlait devant la chambre à sa rentrée à Turin.

Ce que le Piémont avait gagné éclatait à la lumière du jour. C’était le crédit moral et diplomatique dont il pouvait maintenant se servir, c’était la liberté de sa politique libérale et nationale même en face de l’Autriche, pour qui cette politique restait une menace permanente. Le Piémont avait fait acte d’initiative, de virilité et d’indépendance en se jetant à propos dans la grande mêlée.

Cavour, quant à lui, sortait évidemment de toutes ces affaires avec un prestige singulier. Il avait d’un seul coup conquis sa place d’homme d’état. Il s’était fait connaître de l’Europe, il avait prouvé à tous qu’il était de ceux avec qui il faut compter et sur qui l’on peut compter, que chez lui la hardiesse n’excluait pas la mesure, la discrétion et la finesse, que, s’il ne reculait pas au besoin devant le rôle « d’enfant terrible, » comme il le disait, il avait aussi, quand il le fallait, la prudence la plus réfléchie. S’il avait joué, il avait gagné la partie. Il s’était créé des sympathies, presque de la popularité, parmi les Anglais ; il avait surtout réussi à entrer fort avant