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MARIE.

Il s’est éveillé, il s’est éveillé, le grand défenseur à naître de la foi qui me vengera de mes ennemis ; il vient, et mon étoile se lève. Les orgueilleuses ambitions d’Elisabeth et tous ses fougueux partisans pâlissent devant mon étoile ! La lumière de la nouvelle doctrine s’efface et disparaît : les ombres de Luther et de Zwingle s’évanouissent devant mon étoile dans l’impérissable enfer auquel elles sont condamnées. Son sceptre s’étendra d’un bout de l’Inde à l’autre ! Son glaive abattra les peuples hérétiques ! Sa foi enveloppera le monde, devenu sien, comme l’air universel et la lumière du soleil. Ouvrez-vous, portes éternelles, voici le roi, mon étoile, mon fils !


Que manque-t-il à cet hymne passionné pour qu’il produise tout son effet ? Peu de chose en vérité : il faudrait oublier que Marie Tudor n’eut jamais d’enfant et que, jouet d’une illusion maladive, sans cesse renaissante, elle passa les dernières années de sa vie à attendre ce fils qui ne devait pas lui être donné, ce fils dont la naissance eût peut-être changé les destinées de l’Angleterre. Dieu le refusait à son amour, elle crut qu’il l’accorderait au zèle de sa foi, et pour l’obtenir elle résolut de faire rentrer dans le bercail les brebis égarées sans y épargner la rigueur. M. Tennyson a développé d’une manière très-intéressante ce grand dessein. Le cardinal-légat Pole vient de donner solennellement, le jour de la Saint-André, l’absolution papale aux pairs spirituels et temporels ainsi qu’aux communes du royaume. Au milieu des sanglots de la reine, au son du Te Deum, on s’est agenouillé sous la bénédiction du légat : une nouvelle ère commence pour l’Angleterre. Il ne reste plus maintenant qu’à extirper le schisme. Marie veut qu’on fasse revivre les lois jadis portées contre les lollards. Gardiner veut qu’on brûle l’hérésie au nom de la raison d’état ; Bonner, l’évêque de Londres, le veut aussi au nom de l’église épurée. Seul Reginald Pole se montre disposé à user d’abord de tolérance ; il fait valoir à l’appui de son opinion des textes tirés de l’Écriture sainte ; il s’emporte contre le chancelier qui se raille de ses tropes, et finit par céder aux exhortations intimes de sa cousine. Le poète a tracé de ce caractère étrange, où dominait une insatiable vanité, un portrait remarquable. Pole, le fils de Marguerite Plantagenet, le défenseur enthousiaste du saint-siège, le poétique intrigant, candidat toujours malheureux à la papauté, renaît tout entier dans le langage qu’il tient ; mais sous le miel de ses paroles on distingue l’homme d’une idée, prêt à tout accepter pour en assurer le triomphe, l’homme faible qu’il ne sera pas difficile de convertir à la violence. Le légat va devenir l’auxiliaire le plus déterminé de