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LE
ROMAN PATRIOTIQUE
EN ESPAGNE

Episodios nacionales, par don Ferez Galdós, Madrid 1873-1875.

La tâche est toujours difficile de juger une œuvre patriotique écrite par un étranger et destinée à d’autres que nous : les passions, les rancunes, les préjugés dont elle s’inspire risquent de nous trouver prévenus ou pour le moins indifférens, — à plus forte raison lorsque nous y jouons nous-mêmes un vilain rôle, comme dans les livres de M. Perez Galdós, et que tour à tour, envahisseurs et vaincus, nous faisons pour la plus large part les frais du récit. De quelque calme qu’on se targue, on a grand’peine alors à se défendre d’un mouvement de mauvaise humeur ; malgré soi, on s’irrite contre l’auteur de ces insinuations et de ces bravades, on cherche l’endroit faible où le frapper à son tour, et volontiers on rabaisserait son talent pour mieux lui dénier tout crédit. Or, en saine raison, il faut prendre les choses beaucoup moins à cœur ; c’est là le propre du patriotisme, que celui des uns ne va jamais sans porter offense à celui des autres. Qu’un Espagnol, fier de son pays, raconte à sa façon les péripéties de la guerre de l’indépendance, qu’il exalte à nos dépens la gloire de ses compatriotes et fasse sonner bien haut leurs victoires avec nos revers, rien n’est plus naturel, et nous aurions vraiment mauvaise grâce à nous en fâcher. Du moins peut-on se demander, en posant le livre, quelle est l’utilité ou l’à-propos de semblables écrits, et s’il ne vaudrait pas mieux, dans l’intérêt de tout le monde, laisser dormir ces souvenirs de haine et de massacre.