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petit tableau de mœurs. Au point de vue dramatique, certains épisodes sont aussi fort habilement traités ; seulement l’ensemble est trop inégal. Après un passage remarquable, plein de délicatesse et d’émotion, comme l’histoire des amours enfantines de Gabriel avec la fille de son premier maître on la peinture des misères de Saragosse assiégée, viennent des pages languissantes, diffuses, complètement dépourvues d’intérêt. Il est un autre reproche que nous ferons à l’auteur : M. Ferez Galdós ne manque pas d’esprit et peut, sans s’appauvrir, en prêter à ses personnages ; cependant, en plus d’un endroit, lorsqu’il veut railler, tourner en ridicule un travers ou un préjugé, il ne glisse pas assez, il forée le trait et souligne lourdement la plaisanterie. A quoi bon cela ? Le public espagnol est assez spirituel, assez fin pour comprendre à demi mot, et n’a pas besoin de redites.

Quant au style même des Épisodes nationaux, les Espagnols, le trouvent très suffisamment correct, net et facile, et ce n’est pas à nous d’y contredire. Bien au contraire, nous y louerons la variété du tour, la vivacité du dialogue, l’élégance et la souplesse de l’expression. Et pourtant, quoique plusieurs de ces volumes se lisent aisément et même, avec plaisir, ils ne sont pas exempts en somme d’une certaine monotonie. C’est toujours la même note, une note douce, attendrie, répétée jusqu’à la fatigue, le même naturel un peu affecté, le même langage simple et familier, parfois tombant dans le vulgaire. Certainement ce ton modeste est aussi celui qui. convient le mieux d’ordinaire. à un récit du genre autobiographique ; tout dépend néanmoins du personnage qui se trouve en scène. Que dans Erckmann-Chatrian l’ami Fritz ou Joseph Bertha nous content les événemens dont ils ont été les acteurs et les témoins, naïvement, sans élever la voix, d’un tour paysannesque et bonhomme qui cependant, pour les connaisseurs, ne manque ni de finesse ni de distinction, passe encore : ce sont gens du commun, et, lorsqu’ils nous font part de leur histoire, ils sont restés ou à peu près ce qu’ils étaient à leurs débuts ; mais que Gabriel Lopez, devenu grand seigneur, officier supérieur des armées royales et familier des salons les plus aristocratiques de Madrid, s’exprime toujours de cette façon simplette qui rappelle l’enfant du peuple, voilà, qui ne se comprend plus : tout octogénaire qu’il est, l’âge ne saurait l’avoir affaibli à ce point et lui avoir fait oublier le ton de la haute société où il a si longtemps vécu. D’ailleurs, par un retour assez naturel, sous cette simplicité cherchée, perce assez souvent le mauvais goût, l’endure, tranchons le mot, le gongorisme. C’est vers la fin du XVIe siècle qu’on auteur espagnol, don Luis de Gongora, homme d’un vrai talent, pour forcer l’attention publique, préconisa la singulière méthode de style à laquelle il a laissé son nom, et qui. lui valut de son temps le titre pompeux de prince des poètes. Le gongorisme est proprement le mauvais goût