Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il eût été aussi difficile aux vaisseaux amis d’en sortir qu’aux ennemis d’y entrer. Ni Dantzig, ni Stettin, ni la Vistule, ni l’Oder, ne réunissaient les conditions nécessaires pour la création d’un port de guerre capable d’abriter une grande flotte.

Or il se trouve sur la côte orientale du Danemark une baie large, profonde, creusée par la nature à l’intérieur des terres, complètement abritée contre le vent et la mer, et facile à fortifier de manière à devenir inattaquable : c’est la baie de Kiel, entre le Slesvig et le Holstein. Ce territoire appartenait, il y a dix ans, à la monarchie danoise, telle qu’elle avait été constituée en 1815 ; mais, comme il convenait parfaitement pour l’installation de la flotte prussienne, le gouvernement de Berlin jugea que le moment était venu de se l’approprier. La question du Slesvig-Holstein venait d’être soulevée. La Prusse, qui la fomentait, se fit le champion de l’indépendance holsteinoise, et le Holstein-Slesvig fut annexé à l’Allemagne. L’Allemagne devant à son tour être incorporée à la Prusse, celle-ci obtenait ainsi, sans bourse délier, son port militaire.

La baie de Kiel est entourée de collines élevées qui brisent le vent, l’amortissent et l’éteignent. Cette ceinture de hauteurs forme un mur autour du bassin de la baie, qui jouit ainsi d’une sécurité encore augmentée par un rideau de bois croissant sur les collines. Ces échancrures de terres, où pénètrent les eaux de la Baltique, sont très nombreuses, particulièrement en Danemark et en Suède. Très multipliées, elles découpent une frange sur les rivages, et s’appellent dans le pays des fiords. Le fiord de Kiel a 16 kilomètres de longueur. Ouvert au nord, il s’enfonce au sud en formant entonnoir. La ville de Kiel est au fond. Très évasé à l’entrée, le fiord de Kiel se rétrécit à quelque distance, à un endroit où il est étranglé entre deux caps placés sur les deux rives, vis-à-vis l’un de l’autre. C’est là qu’on avait construit en 1870 un triple barrage composé de chaînes, de chalands chargés de pierres et de torpilles. Il y existe une forteresse Friederichshort sur la pointe de terre qui s’avance à droite de l’entrée de la baie. À gauche, sur l’autre rive, le cap est gardé par une redoute garnie d’une grosse artillerie. Entre la citadelle et la redoute, la passe est large au plus de 700 ou 800 mètres, et pour détruire le barrage, qu’on y rétablirait en temps de guerre, il faudrait opérer sous les feux croisés de ces deux ouvrages de défense très bien armés. L’escadre qui tenterait cette entreprise désespérée aurait, dans tous les cas, l’obligation d’éteindre d’abord les feux d’autres travaux défensifs qui précèdent Friederichshort et sont placés à l’ouverture même de la baie, l’un en un lieu appelé Brauneberg, et en face, sur le rivage opposé, une redoute à parapets blindés. Ce quadrilatère présente à l’ennemi plus de 200 embrasures. Pourtant l’état-major général à Berlin ne trouve pas cette